Nord et sud
douceur.
Mr Lennox a seulement dit qu’il y avait de fortes chances pour que vous
retrouviez tout ce que vous avez perdu, et même plus encore... Ne dites rien
tant que je n’ai pas terminé, je vous en prie !
Elle rassembla de nouveau ses forces et feuilleta d’une main
tremblante des papiers officiels et des bordereaux de comptes.
— Ah, voilà ! Mr Lennox m’a préparé une
proposition... Je regrette qu’il ne soit pas ici pour vous l’expliquer... D’après
ce projet, si vous acceptiez l’argent que j’ai en banque, une somme de dix-huit
mille cinquante-sept livres que je n’utilise pas pour l’instant et qui ne me
rapporte que deux et demi pour cent, vous pourriez me verser un intérêt plus
élevé et continuer à diriger la manufacture de Marlborough Street.
Sa voix s’était éclaircie et affermie.
Mr Thornton ne répondit rien, et elle continua à
chercher un papier sur lequel étaient marquées les propositions de garantie du
prêt ; car elle tenait absolument à ce que cette transaction paraisse
avantageuse pour elle. Pendant qu’elle fouillait dans ses papiers pour le
retrouver, son cœur cessa tout à coup de battre en entendant la voix de
Mr Thornton, rauque, tremblante de tendre passion prononcer son nom :
— Margaret !
Elle leva un instant les yeux, puis chercha à masquer l’intensité
de son regard en laissant tomber son front dans ses mains. Il s’approcha encore
et à nouveau répéta d’une voix suppliante et frémissante :
— Margaret !
Elle baissa encore la tête presque jusqu’à la table. Il s’approcha
davantage, s’agenouilla à côté d’elle afin de murmurer à son oreille d’une voix
haletante :
— Prenez garde... Si vous ne dites rien j’aurai la
présomption de croire que vous acceptez d’être mienne. Si je dois partir,
renvoyez-moi tout de suite... Margaret !...
À ce troisième appel, elle tourna vers lui son visage à demi
caché par ses fines mains blanches et elle s’inclina sur son épaule pour s’y
blottir à nouveau. La douceur de la joue de Margaret contre la sienne lui
sembla si délicieuse qu’il ne chercha même pas à regarder ses tendres yeux ni
ses joues empourprées. Il la serra contre lui. Tous deux gardèrent le silence.
Enfin, elle murmura d’une voix entrecoupée :
— Oh, Mr Thornton, je ne suis pas digne de vous !
— Pas digne ! Ne vous moquez pas ainsi de moi, qui
suis convaincu de ne pas vous mériter.
Au bout d’une ou deux minutes, il dégagea doucement le
visage de Margaret et plaça autour de lui les bras de la jeune fille comme elle
les avait mis une fois pour le protéger des émeutiers.
— Vous souvenez-vous, mon amour ? murmura-t-il. Et
de l’insolence avec laquelle je vous ai payée de retour le lendemain ?
— Je me souviens de la façon injuste dont je vous ai
parlé, c’est tout.
— Allons, levez la tête, je veux vous montrer quelque
chose !
Elle tourna lentement vers lui un visage brûlant de
charmante pudeur.
— Reconnaissez-vous ces roses ? demanda-t-il en
tirant son portefeuille, où il conservait précieusement quelques fleurs
séchées.
— Non ! dit-elle avec une innocente curiosité.
Est-ce moi qui vous les ai données ?
— Non, mademoiselle la coquette ! Vous en avez
peut-être porté de tout à fait semblables.
Elle les examina quelques instants, perplexe, puis ébaucha
un sourire et dit :
— Ce sont des roses de Helstone, n’est-ce pas ? Je
reconnais les découpures profondes des feuilles. Oh, mais vous y êtes donc allé ?
Quand ?
— Je voulais voir l’endroit où Margaret est devenue ce
qu’elle est, alors même que j’étais le plus malheureux des hommes et que j’avais
perdu tout espoir qu’elle fût jamais à moi. J’y suis allé en revenant du Havre.
— Donnez-les-moi, dit-elle en essayant de les lui
prendre des mains avec une douce violence.
— Soit. Mais vous devrez me les payer !
— Comment vais-je pouvoir annoncer cela à ma tante ?
dit-elle après quelques minutes de délicieux silence.
— Laissez-moi lui parler.
— Oh, non ! Je lui ai tant d’obligations... Mais
que va-t-elle dire ?
— C’est facile à deviner. Je l’entends déjà s’exclamer :
« Celui-là ! »
— Chut ! répliqua Margaret, sinon je vais essayer
d’imiter le ton indigné de votre mère lorsqu’elle dira : « Celle-là ! »
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[1] N.d.T. (Note de la traductrice) : Refrain d’une
chanson d’Alexander
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