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Nord et sud

Nord et sud

Titel: Nord et sud Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Elizabeth Gaskell
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servante, afin
de nous préparer à recevoir comme il convient un commerçant, et que ce commerçant
serait le seul...
    — Voyons, maman ! s’écria Margaret en se redressant,
ne me punissez pas d’avoir fait une remarque si inconsidérée. Cela ne me dérange
pas de repasser ni de m’acquitter d’une tâche domestique, quelle qu’elle soit, du
moment que c’est pour vous ou pour papa. Je n’en suis pas moins une dame, même si
je dois récurer le parquet ou faire la vaisselle. Je suis fatiguée pour le moment,
mais cela ne va pas durer ; et dans une demi-heure, je serai prête à recommencer.
Quant à Mr Thornton, s’il est commerçant, le pauvre, ce n’est pas sa faute.
Je suppose que son éducation ne l’a préparé à rien d’autre.
    Margaret se leva lentement et regagna sa chambre. Pour l’heure,
elle aurait eu du mal à en supporter davantage.
    Au même moment, chez Mr Thornton, se déroulait une scène
analogue, mais différente. Une dame à la carrure solide et à l’âge certain, maniait
l’aiguille dans une salle à manger austère et bien meublée. Ses traits, comme son
ossature, étaient massifs et accusés plutôt que lourds. Sur son visage se succédaient
des expressions également déterminées, mais peu variées. Toutefois, ceux qui posaient
les yeux sur elle la regardaient en général une seconde fois ; même les passants
dans la rue tournaient la tête pour observer un peu plus longtemps cette femme sévère,
digne et résolue qui ne cédait jamais le passage, même par civilité, ni ne s’arrêtait
lorsqu’elle était en marche vers le but bien défini qu’elle s’était fixé.
    Elle était habillée avec élégance d’une épaisse soie noire, dont
pas un fil n’était râpé ni déteint. Elle raccommodait une grande nappe rectangulaire
du tissu le plus fin, qu’elle tenait de temps à autre à contre-jour pour y découvrir
les endroits élimés qui avaient besoin de ses soins attentifs. On ne voyait aucun
livre dans la pièce, à l’exception des Commentaires sur la Bible de Matthew Henry [23] ,
dont les six volumes étaient posés au milieu du buffet massif, flanqués d’un côté
par une fontaine à thé et de l’autre par une lampe. Dans une pièce distante, on
entendait s’égrener des exercices de piano. Quelqu’un répétait un morceau de salon
sur un rythme très rapide qui escamotait deux notes sur six en moyenne ; quant
aux accords finaux, plaqués avec force, ils étaient faux pour une bonne moitié,
mais n’en satisfaisaient pas moins leur exécutant. Mrs Thornton entendit un
pas aussi décidé que le sien passer devant la porte de la salle à manger.
    — John ! C’est toi ?
    Son fils ouvrit la porte et se montra.
    — Pourquoi rentres-tu si tôt ? Je croyais que tu allais
prendre le thé avec l’ami de Mr Bell, ce Mr Hale.
    — En effet, maman ; je suis rentré me changer.
    — Te changer ! Tiens donc ! Quand j’étais jeune
fille, les hommes s’habillaient une fois par jour, et cela leur suffisait. Pourquoi
te changer pour aller prendre le thé avec un vieux pasteur ?
    — Mr Hale est un gentleman, et son épouse et sa fille
sont des dames élégantes.
    — Son épouse et sa fille ! Elles enseignent, elles
aussi ? Que font-elles ? Tu n’as jamais parlé d’elles.
    — Non, maman, parce que je n’ai jamais rencontré
Mrs Hale, et je n’ai vu Miss Hale qu’une demi-heure.
    — Prends garde de ne pas te laisser attraper par une fille
sans le sou, John.
    — Je ne me laisse pas facilement attraper, maman, comme
vous le savez, je crois. Mais je ne veux pas entendre parler ainsi de
Miss Hale, car cela me fâche, voyez-vous. Je n’ai jamais ressenti qu’une jeune
personne ait essayé de m’attraper, et je ne crois pas qu’aucune se soit donné cette
peine inutile.
    Mrs Thornton ne jugea pas bon de concéder ce point à son
fils ; elle qui par ailleurs était, en règle générale, plutôt orgueilleuse
pour une personne du sexe.
    — Certes. Ce que je dis seulement, c’est « sois vigilant ».
Peut-être nos filles de Milton ont-elles trop de caractère ou de bon sens pour aller
à la pêche au mari ; mais cette Miss Hale vient des comtés aristocratiques
où, si ce qu’on raconte est vrai, les maris fortunés sont considérés comme des prises
enviables.
    Le front de Mr Thornton se plissa, et il avança d’un pas
dans la pièce.
    — Maman, dit-il avec un petit rire de dérision, voulez-vous
que je vous

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