Nord et sud
bouquet. Les
yeux bleu pâle de la jeune fille s’illuminèrent en le prenant et son père prit la
parole à sa place :
— Merci, demoiselle. Ma Bessy, elle aime les fleurs ;
et c’est bien gentil à vous de les lui avoir données. Vous êtes pas de par chez
nous, à ce qu’on dirait ?
— Non ! répondit Margaret dans un soupir. Je viens
du sud, du Hampshire, poursuivit-elle, craignant de le froisser en lui donnant le
sentiment de son ignorance si elle utilisait un nom qu’il ne connaissait pas.
— C’est de l’autre côté de Londres, ça, non ? Moi,
je suis du côté de Burnley, à environ soixante-dix kilomètres au nord. Pourtant,
voyez, le nord et le sud se sont rencontrés et sont devenus comme qui dirait amis,
dans cette grande ville pleine de fumée.
Margaret avait ralenti son allure pour marcher à côté de la jeune
fille et de l’homme. Il réglait son pas sur celui de sa fille, trop souffreteuse
pour avancer vite. Margaret s’adressa alors à elle sur un ton de tendre pitié qui
alla droit au cœur du père.
— Vous ne semblez pas très robuste.
— Non. Et je le serai jamais.
— Le printemps arrive, dit Margaret, comme pour suggérer
d’agréables pensées pleines d’espoir.
— C’est pas le printemps qui changera grand-chose, ni l’été
non plus, répondit calmement la jeune fille.
Margaret leva les yeux vers le père, s’attendant à ce qu’il la
contredise, ou fasse quelque remarque pour dissiper le désespoir de sa fille. Au
lieu de quoi, il se contenta d’ajouter :
— C’est la vérité vraie, qu’elle dit. Je crois que la maladie
a déjà fait trop de dégâts.
— Là où je vais, j’aurai un printemps avec des fleurs, tout
plein d’immortelles et d’amarantes ; et aussi de belles robes éclatantes.
— Pauvre petiote, dit le père à voix basse. J’en suis pas
si sûr, moi, mais si ça te console, ma pauvre chtiote. Pauvre père aussi. Y en a
plus pour bien longtemps.
Ces paroles choquèrent Margaret – elles la choquèrent sans toutefois
lui inspirer de répugnance. Elle fut plutôt attirée et intéressée.
— Où habitez-vous ? Je pense que nous devons être voisins,
parce que nous nous rencontrons souvent sur ce chemin.
— Nous, on reste au 9, Frances Street, la deuxième à gauche
après le Dragon d’Or.
— Et comment vous appelez-vous ? Il faudra que je me
le rappelle.
— J’ai pas honte de mon nom. C’est Nicholas Higgins. Elle,
c’est Bessy Higgins. Pourquoi que vous demandez ?
Margaret fut surprise par cette dernière question, car à Helstone,
il eût été évident qu’après avoir pris ces informations, notamment après s’être
enquis du nom et de l’adresse d’un voisin pauvre, elle avait l’intention de lui
rendre visite.
— J’ai pensé..., enfin je voulais venir vous voir.
Brusquement, elle se sentit un peu gênée de proposer cette visite
sans aucune raison valable pour justifier son désir, hormis l’intérêt bienveillant
qu’elle éprouvait pour quelqu’un qui lui était étranger. Tout à coup, elle se sentit
impertinente ; et elle lut dans les yeux de l’homme qu’il pensait la même chose.
— C’est que j’aime pas trop avoir des étrangers chez moi,
commença-t-il.
Mais, voyant Margaret rougir, il s’amadoua et ajouta :
— Vous êtes pas d’ici, c’est vrai, et peut-être que vous
connaissez pas grand monde. Et puis, vous avez donné à ma petite des fleurs que
vous avez cueillies... Allez, venez si le cœur vous en dit.
Margaret fut mi-amusée, mi-piquée par sa réponse. Elle se demandait
si elle irait chez eux car la permission lui avait été donnée de telle façon que
cela ressemblait à une faveur qu’on lui accordait. Mais lorsqu’ils eurent rejoint
la ville et Frances Street, la fille s’arrêta un instant et dit :
— Vous oublierez pas que vous avez promis de venir nous
voir ?
— Pour sûr, dit son père non sans brusquerie, elle viendra.
Elle est un peu vexée, là, parce qu’elle trouve que j’aurais dû lui parler plus
civilement ; mais une fois qu’elle aura réfléchi, elle viendra. Elle a beau
avoir une jolie figure fière, je lis dessus comme dans un livre ouvert. Allez, viens,
Bessy. Y a la cloche de l’usine qui sonne.
Margaret rentra chez elle en repensant à ses nouveaux amis, amusée
de la façon perspicace dont l’homme l’avait percée à jour. Dès lors, Milton devint
pour elle un heu moins lugubre. Non pas grâce aux
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