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Nord et sud

Nord et sud

Titel: Nord et sud Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Elizabeth Gaskell
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pris à la légère
le déplaisir que lui causait ce changement, s’il ne s’était assorti d’un plus sérieux
désagrément.
    Crampton se trouvait du côté de la ville que traversaient les
ouvriers des usines. Dans les petites rues du quartier, il y avait de nombreuses
manufactures, d’où sortaient deux ou trois fois par jour des flots d’hommes et de
femmes. Tant qu’elle n’eut pas découvert leurs horaires de travail, Margaret avait
la malchance de constamment tomber sur eux. Ils marchaient d’un pas rapide, la mine
assurée et effrontée, le rire et la plaisanterie faciles, surtout lorsqu’ils croisaient
des personnes qui leur paraissaient supérieures par le rang ou la situation. Au
début, le ton de ces voix si peu policées, le mépris où ces gens tenaient la courtoisie
la plus élémentaire, effrayèrent un peu Margaret. Hardies et désinvoltes, les filles
faisaient des commentaires sur sa mise, mais sans hostilité, et allaient même jusqu’à
toucher son châle ou sa robe pour en reconnaître le tissu ; à une ou deux reprises,
elles lui posèrent des questions sur un vêtement qu’elles admiraient tout particulièrement.
Elles avaient la naïveté de croire que leur goût pour les beaux vêtements inspirerait
à Margaret une sympathie complice et qu’elle réagirait avec gentillesse ; celle-ci,
d’ailleurs, répondit bien volontiers à leurs questions, dès qu’elle les eut comprises ;
et ne put réprimer un sourire en entendant leurs remarques. Elle ne craignait pas
ces rencontres avec les filles, même en nombre, malgré leurs voix fortes et leur
exubérance. En revanche, elle redoutait les ouvriers, qui faisaient tout aussi ouvertement
et sans vergogne des commentaires non pas sur ses vêtements, mais sur sa personne,
et elle s’indignait de leur audace. Elle qui, jusqu’alors, avait toujours ressenti
comme une impertinence la moindre réflexion, fût-elle très délicate, se trouvait
contrainte de subir l’admiration non déguisée qu’exprimait leur franc-parler. Mais
ce franc-parler même témoignait de l’innocence de leurs intentions : ils ne
voulaient pas blesser sa délicatesse, ce dont elle se serait aperçue si elle n’avait
été aussi effrayée par le désordre et le tumulte. Malgré sa peur, elle éprouvait
une bouffée d’indignation qui lui mettait le rouge aux joues et faisait étinceler
ses yeux sombres lorsqu’elle entendait certaines de leurs réflexions. Pourtant,
il y avait certaines remarques qui, une fois qu’elle se retrouvait en sécurité chez
elle, l’amusaient en dépit de l’agacement qu’elles lui causaient.
    Ainsi, un jour, après avoir dépassé un groupe d’hommes dont plusieurs
dirent ce qu’elle avait souvent entendu, à savoir qu’ils auraient bien aimé qu’elle
soit leur bonne amie, l’un des traînards ajouta : « Votre jolie figure
ensoleille la journée, ma belle ! » Et un autre jour où, plongée dans
ses rêveries, elle souriait sans s’en rendre compte, un homme d’un certain âge,
pauvrement vêtu, lui lança : « Vous pouvez sourire, ma belle, y en a plus
d’une qui sourirait si elle était aussi jolie. » L’homme paraissait si rongé
par les soucis que Margaret ne put s’empêcher de lui sourire en retour, heureuse
d’imaginer que son visage, joli ou non, avait eu le pouvoir de faire naître une
pensée agréable. Il parut comprendre, et une connivence silencieuse s’établit entre
eux chaque fois que les hasards de la journée faisaient se croiser leur chemin.
Jamais ils n’avaient échangé une parole ; rien n’avait été dit, hormis ce premier
compliment ; pourtant, Margaret considérait cet homme avec plus d’intérêt que
quiconque à Milton. Une ou deux fois, le dimanche, elle l’aperçut qui se promenait
en compagnie d’une fille, la sienne de toute évidence, si possible encore plus mal
portante qu’il ne l’était lui-même.
    Un jour, Margaret et son père s’étaient aventurés dans les champs
qui entouraient la ville ; c’était le début du printemps et elle avait cueilli
des fleurs poussant sur les Hales et dans les fossés, des violettes des chiens,
des ficaires et autres, tout en regrettant au fond de son cœur l’agréable luxuriance
du Sud. Son père l’avait quittée pour retourner à Milton où il avait à faire et
sur la route, elle rencontra ses humbles amis. La fille regarda ses fleurs avec
envie et Margaret, obéissant à une impulsion soudaine, lui tendit son

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