Nord et sud
branches se déploient à l’horizontale, et donnent
une ombre propice au repos, même à midi. Et bien que chaque feuille semble immobile,
on entend un bruissement continuel partout alentour, comme un mouvement diffus.
À certains endroits, l’herbe est aussi fine et délicate que du velours ; à
d’autres, elle est luxuriante à cause de l’humidité perpétuelle quand elle se trouve
à proximité d’un petit ruisseau caché qui coule dans un murmure argentin. Ailleurs,
des fougères ondulent à perte de vue : certaines tapies dans l’ombre verte,
d’autres striées de la lumière dorée du soleil. On dirait la mer.
— J’ai jamais vu la mer, dit Bessy. Mais continuez.
— Et puis, de temps en temps, on arrive dans un pré communal,
sur les hauteurs ; on le croirait sorti des cimes des arbres...
— J’en suis bien aise. J’étais comme oppressée tout en bas.
Quand je vais me promener, je veux toujours monter pour voir au loin et respirer
de grandes goulées de l’air des hauteurs. À Milton, je suis tout oppressée, et quand
je pense au bruit que vous disiez, là, ce bruit dans les arbres qui s’arrête jamais,
je crois que ça me donnerait le tournis. À l’usine, voyez, j’avais toujours mal
à la tête. Mais là-bas, dans ces prés communaux, il doit pas y avoir beaucoup de
bruit ?
— Non, en effet, dit Margaret, aucun, sinon parfois le chant
d’une alouette, bien haut dans le ciel. Il m’arrivait d’entendre la voix d’un fermier,
forte et claire, qui donnait des ordres à ses ouvriers ; mais c’était si lointain
que cela me rappelait seulement que là-bas, des gens travaillaient dur tandis que
moi, j’étais assise sur la bruyère à ne rien faire.
— Dans le temps, je me disais que si je pouvais avoir une
journée à rien faire, une journée à passer dans un endroit tranquille, comme celui
que vous me causez, là, peut-être que ça me requinquerait. Pourtant, j’ai beau en
avoir passé, des journées à rien faire, je me sens aussi moulue que quand je travaillais.
Des fois, je suis tellement fatiguée que je me dis que si je me repose pas d’abord,
je pourrai même pas me sentir bien au ciel. Je tiens pas trop à y aller directement,
faudrait que je puisse dormir un bon coup dans la tombe pour me requinquer avant.
— Ne craignez rien, Bessy, dit Margaret en posant sa main
sur celle de la jeune fille, Dieu peut vous donner un repos plus parfait que toute
l’oisiveté de la terre, ou que le sommeil du tombeau.
Bessy s’agita, puis répondit :
— Si seulement mon père arrêtait de causer comme il fait.
C’est pas qu’il pense à mal, je vous le disais hier, et je redirai tout pareil aujourd’hui.
Mais voyez, j’ai beau pas le croire le jour, la nuit, quand j’ai la fièvre et que
j’arrive pas à me rendormir, ce qu’il raconte me revient, et ça me farcit la tête !
Alors je me dis : des fois qu’il y aurait rien d’autre après ? Et si je
suis née que pour travailler à m’y ruiner l’espoir et la santé, pour tomber malade
dans ce trou horrible, avec dans les oreilles le bruit de l’usine qui finit par
me donner envie de leur crier d’arrêter, que j’aie un peu de répit, et avec les
fluches qui me remplissent les poumons tant et tant qu’à la fin j’ai plus qu’une
envie, pouvoir aspirer une grande goulée de l’air pur que vous parliez tout à l’heure,
maintenant que ma mère est morte et que je pourrai plus jamais lui dire comme je
l’aimais, je me dis que si après cette vie il y a rien d’autre, si y a pas de Dieu
pour essuyer les larmes de tous, ah, ma petite demoiselle..., s’exclama-t-elle en
se redressant, et crispant sa main presque sauvagement sur celle de Margaret, ...
y a de quoi devenir folle, même que je serais capable de vous tuer, ma parole !
Elle se laissa retomber, épuisée par son élan d’exaltation. Margaret
s’agenouilla près d’elle.
— Bessy, nous avons un Père qui est aux cieux.
— Je sais, je sais ! gémit-elle en tournant avec peine
sa tête fiévreuse d’un côté et de l’autre. C’est très mal. J’ai très mal parlé.
Oh, faut pas avoir peur de moi et plus revenir ! Je toucherais pas à un seul
de vos cheveux. Et puis… (elle ouvrit les yeux et regarda Margaret d’un air pénétré),
je crois au monde à venir, peut-être même plus que vous. Tenez, le Livre de l’Apocalypse,
je l’ai tellement lu que je le connais par cœur. Quand je suis réveillée, et que
j’ai
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