Nord et sud
porte de la loge ressemblait
à une porte de jardin ordinaire ; juste à côté se trouvaient de grandes grilles
fermées par lesquelles devaient entrer et sortir les fourgons. Le portier les fit
pénétrer dans une grande cour rectangulaire, bordée d’un côté par des bureaux où
se traitaient les transactions, et de l’autre, par une immense usine aux nombreuses
fenêtres d’où s’échappait un cliquetis incessant d’engins mécaniques et le long
grondement plaintif de la machine à vapeur, un bruit propre à assourdir ceux qui
vivaient dans cette enceinte. En face du mur qui longeait la rue, sur l’un des petits
côtés du rectangle, se dressait une belle maison aux encadrements de pierre, noircie
par la fumée, certes, mais dont les parties peintes, fenêtres et portes, ainsi que
les marches, étaient d’une propreté méticuleuse. Manifestement, cette maison avait
bien cinquante ou soixante ans. Les entablements de pierre, le grand nombre de fenêtres
longues et étroites, le perron menant à la porte d’entrée avec son escalier double
rejoignant le palier central et protégé par une rampe, tous ces détails témoignaient
de son âge. Margaret se demanda seulement pourquoi des gens qui avaient les moyens
de vivre dans une maison pareille et de l’entretenir aussi parfaitement ne préféraient
pas un logis beaucoup plus petit à la campagne ou même dans les faubourgs, au lieu
de rester dans le vacarme incessant de l’usine. Ses oreilles peu habituées au bruit
parvenaient à peine à distinguer ce que disait son père tandis qu’ils se trouvaient
sur le perron, attendant qu’on leur ouvre. Quant à la cour, délimitée par un mur
avec de grandes grilles, elle n’offrait qu’une morne perspective car c’est sur elle
que donnaient les pièces d’agrément de la maison, comme le découvrit Margaret lorsqu’ils
eurent gravi les marches anciennes et été introduits dans le salon, dont les trois
fenêtres se trouvaient au-dessus de la porte d’entrée et de la pièce à droite de
l’entrée. Il n’y avait personne. On eût dit que nul n’était entré dans la pièce
depuis le jour où les meubles avaient été recouverts de housses avec le plus grand
soin comme si l’on s’attendait à ce que la maison fût ensevelie sous la lave et
retrouvée mille ans plus tard. Les murs étaient rose et or ; le tapis, aux
impressions représentant des bouquets de fleurs sur fond clair, était protégé en
son milieu par une pièce de droguer, lustrée et passée. Aux fenêtres pendaient des
rideaux de dentelle ; chaque fauteuil était recouvert d’un pare-poussière en
filet ou en tricot, et de grands groupes d’albâtre, abrités par des globes de verre,
occupaient toutes les surfaces planes. Au centre de la pièce sous le lustre protégé
par une mousseline, se trouvait une vaste table ronde ; sur la surface polie
étaient disposés à intervalles réguliers des livres richement reliés, tels les rayons
d’une roue aux couleurs gaies. Tout reflétait la lumière, rien ne l’absorbait. La
pièce dans son ensemble avait un aspect laborieusement chatoyant, tacheté et moucheté,
qui déplut tellement à Margaret que ce fut à peine si elle se rendit compte de la
propreté méticuleuse nécessaire pour tout maintenir si blanc et si pur dans une
atmosphère pareille, et du mal que l’on se donnait manifestement pour produire cette
apparence d’inconfort glacial et immaculé. Partout où ses yeux se posaient, elle
voyait les marques du soin et du labeur ; mais ce soin et ce labeur visaient
seulement à produire un effet décoratif et non à procurer du bien-être ou à favoriser
de tranquilles activités domestiques.
Ils eurent le loisir d’observer et de converser à mi-voix avant
l’arrivée de Mrs Thornton. Ils ne disaient rien que tout le monde ne pût entendre,
mais l’effet habituel d’une telle pièce est de faire baisser la voix aux visiteurs,
comme s’ils craignaient d’éveiller des échos qu’on ne sollicitait jamais. Enfin,
Mrs Thornton fît son entrée, dans un froufrou de belle soie noire, comme à
l’accoutumée ; ses colifichets de mousseline et de dentelle, immaculés, rivalisaient
avec la blancheur des mousselines et des filets qui protégeaient les objets de la
pièce – sans toutefois la surpasser. Margaret expliqua à Mrs Thornton pourquoi
sa mère n’avait pu les accompagner ; mais, soucieuse de ne pas raviver les
inquiétudes de son père, elle fournit des
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