Nord et sud
effet
qu’avant de venir à Milton, je ne connaissais pas le nom de Mr Thornton. Mais
depuis mon arrivée, j’en ai assez entendu à son sujet pour avoir conçu du respect
et de l’admiration pour lui, et pour comprendre toute la justesse et la vérité de
ce que vous dites à son propos.
— Qui vous a parlé de lui ? s’enquit Mrs Thornton,
un peu radoucie, mais méfiante au cas où les paroles des autres n’auraient pas pleinement
reconnu la mesure des talents de son fils.
Margaret hésita avant de répondre. Ces questions autoritaires
lui déplaisaient. Mr Hale prit la parole, croyant lui venir en aide :
— C’est ce que Mr Thornton nous a raconté sur lui-même
qui nous a révélé quel genre d’homme il était. N’est-ce pas, Margaret ?
Mrs Thornton se redressa et déclara :
— Mon fils n’est pas homme à parler de ce qu’il fait. Puis-je
vous demander à nouveau, Miss Hale, sur quels témoignages vous avez formé votre
bonne opinion de lui ? Une mère est toujours curieuse et avide d’entendre des
compliments sur ses enfants, vous savez.
— Mr Bell nous avait déjà parlé de la vie passée de
Mr Thornton, mais c’est davantage ce qu’il en a caché que ce qu’il nous a révélé
qui nous a tous convaincus que vous aviez les meilleures raisons d’être fière de
lui.
— Mr Bell ! Que peut-il savoir de John ?
Lui qui mène une vie paresseuse dans un collège endormi. Mais je vous suis très
obligée, Miss Hale. Plus d’une jeune demoiselle aurait hésité à donner à une
vieille femme le plaisir d’entendre dire que l’on parlait de son fils en termes
élogieux.
— Pourquoi ? demanda Margaret, étonnée, en regardant
Mrs Thornton droit dans les yeux.
— Pourquoi ! Mais parce que sa conscience lui aurait
sans doute dit qu’elle était sûre de se faire de la mère une alliée, au cas où elle
aurait des vues sur le cœur de son fils.
Elle adressa à Margaret un sourire austère, car elle avait apprécié
sa franchise ; peut-être sentait-elle aussi qu’elle avait posé trop de questions,
et s’était conduite comme si elle avait eu le droit de mettre sa visiteuse sur la
sellette. L’idée qu’elle venait d’exprimer fit rire Margaret de si bon cœur que
son amusement fut désagréable aux oreilles de Mrs Thornton, qui se demanda
s’il avait été provoqué par ses propos, jugés d’un ridicule achevé. Dès qu’elle
vit se fermer le visage de Mrs Thornton, Margaret cessa de rire.
— Je vous demande pardon, madame. Mais je vous suis très
obligée, à mon tour, de me tenir quitte de tout soupçon concernant des vues éventuelles
sur le cœur de Mr Thornton.
— Vous ne seriez pas la première, dit Mrs Thornton
avec raideur.
— Comment se porte Miss Thornton ? intervint
Mr Hale, soucieux de détourner la conversation.
— Comme à l’accoutumée. Elle n’a pas une santé robuste,
répondit Mrs Thornton d’un ton sec.
— Et Mr Thornton ? Puis-je espérer le voir jeudi ?
— Je ne peux répondre des engagements de mon fils. Il y
a de curieux manèges en ville en ce moment. Des menaces de grève. Si cela se confirme,
mon fils va se voir fort sollicité par ses amis, qui apprécient son expérience et
son discernement. Mais je suppose qu’il pourra se libérer jeudi. En tout cas, je
suis sûre que dans le cas contraire, il vous préviendra.
— Une grève ! Et pourquoi ? s’enquit Margaret.
Pourquoi les ouvriers veulent-ils se mettre en grève ?
— Pour s’emparer des biens des patrons et prendre leur place,
répliqua Mrs Thornton avec un ricanement féroce. C’est toujours pour cela qu’ils
font la grève. Si les ouvriers de mon fils se mettent en grève, je dirai que ce
sont des chiens ingrats, voilà tout. Mais je ne doute pas qu’ils le fassent.
— Ils veulent une augmentation de salaire, je suppose ?
demanda Mr Hale.
— C’est le prétexte. Mais en réalité, ils veulent prendre
la place des patrons pour en faire leurs propres esclaves. Us essaient sans arrêt ;
ils ne pensent qu’à cela ; et tous les cinq ou six ans, il y a un affrontement
entre patrons et ouvriers. Cette fois-ci, ils vont s’apercevoir de leur erreur,
j’imagine, et se trouver assez loin du compte. S’ils arrêtent les machines, ils
auront du mal à retourner à l’usine. Je crois que les patrons ont en tête une ou
deux idées qui dissuaderont les ouvriers de se mettre en grève sans y réfléchir
à deux fois,
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