Nord et sud
s’ils tiennent encore à la faire.
— Est-ce que la grève provoque des violences en ville ?
demanda Margaret.
— Bien entendu. Mais vous n’êtes sans doute pas facilement
effrayée ? Les poltrons n’ont pas leur place à Milton. Je me souviens d’une
fois où j’ai été obligée de me frayer un chemin dans une foule d’hommes furieux,
blêmes de rage, qui juraient tous qu’ils auraient la peau de Mackinson sitôt qu’il
mettrait un pied hors de son usine ; il ne s’en doutait pas, il a donc fallu
que quelqu’un aille le prévenir, sinon, c’était un homme mort. Et comme il fallait
que ce soit une femme, c’est moi qui y suis allée. Une fois à l’intérieur, je ne
pouvais plus sortir. Je risquais ma vie. Alors je suis montée sur le toit, où étaient
préparées des piles de pierres à lancer sur la foule si jamais elle essayait de
forcer les grilles. J’aurais soulevé ces grosses pierres et les aurais lancées en
visant aussi bien que le meilleur de ceux qui m’encerclaient, si je ne m’étais trouvée
mal à cause de la chaleur. Quand on habite Milton, on doit apprendre à avoir du
cran.
— Je ferai de mon mieux le cas échéant, répondit Margaret
en pâlissant. Tant que je n’aurai pas été mise à l’épreuve, je ne saurai pas si
je suis courageuse ou pas ; mais je crains bien de me révéler poltronne.
— Les gens du Sud sont souvent effrayés par ce qui, pour
nos habitants du Darkshire, hommes et femmes, n’est que le lot quotidien avec ses
difficultés. Mais quand vous aurez passé dix ans chez des gens qui ont toujours
une dent contre les classes supérieures et qui n’attendent qu’une occasion de se
venger, vous saurez si oui ou non vous avez du courage, je vous le garantis.
Ce soir-là, Mr Thornton vint chez Mr Hale. Il fut introduit
dans le salon, où Mr Hale faisait la lecture à sa femme et à sa fille.
— Je viens d’abord pour vous apporter un mot de ma mère,
ensuite pour m’excuser d’avoir manqué notre séance d’hier. Ma mère vous a écrit
l’adresse que vous demandiez, celle du docteur Donaldson.
— Oh, merci, dit précipitamment Margaret, qui tendit la
main pour prendre le morceau de papier, car elle ne souhaitait pas que sa mère entende
qu’ils s’étaient mis en quête d’un médecin.
Elle fut contente de voir que Mr Thornton semblait l’avoir
comprise à demi-mot ; il lui tendit le papier sans autre explication. Mr Hale
se mit à parler de la grève. Le visage de Mr Thornton se mit aussitôt à ressembler
à celui de sa mère lorsqu’elle était le plus rébarbative ; ceci déplut fort
à Margaret, qui l’observait.
— Oui, ces imbéciles veulent absolument se mettre en grève.
Soit. Cela ne nous convient pas si mal. Ceci dit, nous leur avons donné une chance.
Ils s’imaginent que le commerce est aussi florissant que Tan dernier. Nous, nous
voyons la tempête à l’horizon, et nous amenons les voiles. Mais comme nous ne donnons
pas d’explications, ils refusent de croire que nous agissons avec raison. Ils voudraient
que nous leur expliquions par le menu la façon dont nous décidons de dépenser notre
argent ou de le ménager. Henderson a essayé une parade avec ses ouvriers, à Ashley,
et il a échoué. Il n’avait rien contre une grève, cela aurait bien fait son affaire.
Alors, quand les ouvriers sont venus lui demander les cinq pour cent d’augmentation
qu’ils réclamaient, il leur a dit qu’il y réfléchirait et qu’il leur donnerait sa
réponse le jour de la paie. Il savait pertinemment quelle serait cette réponse,
bien entendu, mais il pensait que cela renforcerait leur résolution. Seulement ils
se sont montrés plus malins que lui et ont obtenu des informations sur le mauvais
état du commerce. Le vendredi, quand ils sont arrivés, ils n’ont pas maintenu leurs
revendications ; si bien que maintenant, il est obligé de continuer à travailler.
Mais nous autres, patrons de Milton, nous avons fait connaître notre décision dès
aujourd’hui. Nous ne donnerons pas un penny de plus. Nous avons même annoncé que
nous risquions de réduire les salaires, et que nous ne pouvions en aucun cas nous
permettre de les augmenter. Nous restons sur nos positions en attendant la prochaine
riposte.
— Que sera-t-elle ? demanda Mr Hale.
— Je suppose qu’il y aura une grève générale. Vous verrez
Milton sans fumée pendant quelques jours, j’imagine, Miss Hale.
— Mais pourquoi
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