Nord et sud
soient, ne pourront m’en inspirer.
— Ma chère demoiselle, votre mère semble avoir une femme
de chambre très attentive et compétente, qui est pour elle comme une amie...
— Je suis sa fille, monsieur.
— Mais quand je vous aurai confié qu’elle a expressément
spécifié que vous ne deviez pas être informée...
— Je ne suis ni assez docile ni assez patiente pour me plier
à cette interdiction. De plus, je suis sûre que vous êtes trop sage et trop expérimenté
pour avoir promis de garder le secret.
— Ma foi, dit-il avec un petit sourire triste, vous avez
raison sur ce point. Je n’ai rien promis. En fait, je crains que le secret ne soit
vite connu, même sans que je le divulgue.
Il s’interrompit. Margaret blêmit et serra un peu plus les lèvres.
Hormis cela, aucun de ses traits ne bougea. Avec une rapidité de jugement qui justifiait
l’éminence à laquelle il était parvenu, le docteur Donaldson comprit qu’elle exigerait
toute la vérité. Il prononça deux courtes phrases à mi-voix, sans la quitter des
yeux : les pupilles de Margaret se dilatèrent et son visage, déjà pâle, devint
livide. Le médecin se tut, attendant que son expression d’horreur se dissipe et
qu’elle reprenne sa respiration.
Alors, elle déclara :
— Je vous remercie très sincèrement de votre franchise,
monsieur. Depuis plusieurs semaines, j’étais hantée par la crainte de ce que vous
me révélez. C’est véritablement atroce. Ma pauvre, pauvre mère !
Ses lèvres se mirent à frémir et il la laissa s’abandonner au
soulagement des pleurs, sachant qu’elle aurait la maîtrise nécessaire pour les arrêter.
Elle ne versa que quelques larmes avant de se rappeler toutes les questions qu’elle
souhaitait poser.
— Va-t-elle souffrir beaucoup ?
H secoua la tête.
— Nous sommes incapables de le prévoir. Cela dépend de la
constitution de chaque malade, et de mille autres choses. Mais les dernières découvertes
de la science nous permettent de mieux adoucir les souffrances.
— Mon père ! dit Margaret, tremblant des pieds à la
tête.
— Je ne connais pas Mr Hale. Ce que je veux dire, c’est
qu’il est difficile de donner des conseils. Mais je pense que maintenant que vous
savez ce que vous m’avez contraint à vous annoncer si brutalement, vous devriez
attendre de mieux connaître les faits que j’ai dû vous révéler afin de vous permettre
de réconforter au mieux votre père. D’ici là, mes visites – que naturellement, je
renouvellerai de temps en temps, même si je crains de ne rien pouvoir faire que
calmer la douleur – et mille petits détails auront éveillé son inquiétude, et l’auront
nourrie de telle sorte qu’il sera mieux préparé. Et puis, ma chère demoiselle –
ma chère enfant – sachez que j’ai parlé à Mr Thornton, et que je respecte votre
père pour le sacrifice qu’il a fait, même si je considère qu’il a commis une erreur.
Ah, pour cette fois-ci j’accepte, si vous y tenez, ma chère enfant. Mais dites-vous
bien que ma prochaine visite sera faite à titre amical. Il faudra vous habituer
à me considérer comme un ami, car le fait de se voir et d’apprendre à se connaître
dans des circonstances pareilles vaut des années de visites mondaines.
Margaret sanglotait trop violemment pour pouvoir répondre, mais
elle lui serra la main avec force lorsqu’il prit congé.
« Voilà une fille selon mon cœur », pensa le docteur
Donaldson lorsqu’il eut pris place dans sa voiture et examiné la main qu’elle avait
broyée au point que la pression l’avait un peu meurtrie. « Qui eût cru qu’une
si petite main pût serrer si fort ? Mais cette jeune fille a une bonne ossature,
ce qui lui donne une grande puissance. Quelle port de reine ! D’abord la tête
rejetée en arrière, pour m’obliger à lui dire la vérité ; puis penchée en avant
pour m’écouter avec toute son attention. La pauvre ! Il faut que je veille
à ce qu’elle ne s’épuise pas. Je suis toujours étonné de voir les réserves d’énergie
et de souffrance qu’ont ces filles dont le sang ne ment pas. Celle-ci a le cœur
bien accroché. Une autre, qui aurait pâli à ce point, n’aurait jamais repris ses
esprits sans d’abord s’évanouir ou avoir une crise de nerfs. Alors elle ne s’est
pas laissée aller. Non, elle n’est pas fille à cela ! Elle s’est ressaisie
par la seule force de sa volonté. Ah, si j’avais trente ans de moins, une
Weitere Kostenlose Bücher