Nord et sud
Street ? », à tel point que je me suis
bien souvent sentie plus gênée en te voyant découvrir nos petits arrangements de
Helstone que je ne l’eusse été devant une parfaite étrangère.
— Oh, maman ! Alors qu’ils m’enchantaient ! Tout
était tellement plus amusant que la routine de Harley Street ! L’étagère de
l’armoire avec ses poignées, qui servait de plateau pour le dîner dans les grandes
occasions ! Et les vieux coffres à thé rembourrés et couverts en guise de divans.
Je trouve que ce que vous appelez les arrangements de fortune à Helstone faisaient
une partie du charme de la vie là-bas.
— Jamais je ne reverrai Helstone, Margaret, dit
Mrs Hale, dont les yeux s’emplirent de larmes.
Margaret ne put lui répondre. Mrs Hale poursuivit :
— Tant que j’y étais, je souhaitais sans cesse en partir.
N’importe quel autre lieu me semblait préférable. Et maintenant, je vais mourir
loin de Helstone. Me voilà bien punie.
— Ne parlez pas comme cela, dit Margaret d’un ton impatient.
Le docteur a dit que vous pouviez vivre des années. Oh, maman, nous vous emmènerons
à Helstone.
— Jamais ! Je dois accepter ceci comme une juste punition.
Mais, Margaret... Frederick !
En prononçant ce nom, elle poussa soudain un cri, comme si elle
éprouvait une douleur fulgurante. On eût dit que penser à son fils lui avait fait
perdre son sang-froid, avait anéanti son calme, et pris le pas sur son épuisement.
Les cris passionnés et exaltés se succédèrent : « Frederick, Frederick,
reviens près de moi. Je meurs. Mon tout-petit, mon premier-né, reviens auprès de
moi ! »
Elle eut une violente crise de nerfs. Terrifiée, Margaret alla
appeler Dixon. Celle-ci arriva, monta sur ses grands chevaux et accusa Margaret
d’avoir trop excité sa mère. Margaret supporta ces propos avec douceur, espérant
seulement que son père n’arriverait pas sur ces entrefaites. Malgré son inquiétude,
plus forte que ne le justifiait l’incident, elle suivit à la lettre et avec promptitude
toutes les directives de Dixon, sans un mot pour tenter de se justifier. Ce qui
apaisa la colère de son accusatrice. Ensemble, elles couchèrent Mrs Hale et
Margaret resta à son chevet jusqu’à ce qu’elle s’endorme, ne quittant la chambre
que sur ordre de Dixon qui, l’air revêche comme si cela lui coûtait vraiment, lui
proposa une tasse de café qu’elle avait préparée à son intention dans le salon.
Pendant qu’elle buvait, Dixon resta debout à côté d’elle, dans une attitude autoritaire.
— Vous n’auriez pas dû être aussi curieuse, Miss ;
ainsi, vous n’auriez pas eu à vous faire de souci avant le moment venu. Il viendra
bien assez tôt de toute façon. À présent, je suppose que vous allez en parler à
monsieur, et ça va me faire une jolie maisonnée sur les bras !
— Non, Dixon, répondit Margaret d’un ton affligé. Je ne
dirai rien à papa. Il ne pourrait pas le supporter aussi bien que moi.
Et comme pour prouver la justesse de sa remarque, elle fondît
en larmes.
— Ah, je me doutais bien que cela se passerait ainsi. Vous
allez réveiller votre maman, alors qu’elle vient juste de s’endormir paisiblement.
Ma chère Miss Margaret, j’ai dû garder le secret pendant de nombreuses semaines.
Je ne peux peut-être pas prétendre l’aimer comme vous, mais je l’ai aimée plus que
tout autre, homme, femme ou enfant. Personne, hormis Mr Frederick, n’a jamais
rivalisé avec elle dans mon cœur. Le jour où la femme de chambre de Lady Beresford
me l’a montrée la première fois, habillée de crêpe blanc, avec un bouquet d’épis
de blés et de coquelicots écarlates, je me suis enfoncé dans le doigt une aiguille
qui s’y est cassée. Alors, elle a déchiré son mouchoir brodé après qu’on eut sorti
l’aiguille ; et en revenant du bal – où elle avait été la plus jolie –, elle
est venue me voir pour humecter mon pansement. Jamais je n’ai aimé personne autant
qu’elle. Jamais je ne me serais imaginé la voir tombée si bas. Je ne fais de reproche
à personne, notez bien. Il y a beaucoup de gens qui disent que vous êtes une jolie
fille, une beauté, je ne sais quoi encore. Dans cet endroit où la fumée vous aveugle,
même les hiboux peuvent voir cela. Mais vous pouvez bien vivre cent ans, jamais
vous ne serez aussi belle que votre mère.
— Maman est encore très jolie. Pauvre maman !
— Ah, vous n’allez pas
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