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Nord et sud

Nord et sud

Titel: Nord et sud Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Elizabeth Gaskell
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Margaret. Je crois qu’ils ont trop de sens
commun pour cela.
    — Ce que je pense, moi, répliqua Higgins en tapant sa pipe
pour en faire tomber les cendres avec tant de violence qu’elle se cassa, c’est pas
qu’ils ont trop de sens commun, mais qu’ils ont pas de sens du tout.
    — Oh, papa, intervint Bessy, à quoi ça nous a avancés de
faire grève ? Tu te souviens de la première, au moment de la mort de maman
– comme on crevait tous de faim, et toi le premier ; et pourtant, y en a beaucoup
qui sont retournés travailler pour le même salaire, à mesure que les semaines passaient,
jusqu’à ce que tout le monde ait repris du travail ; et y en a qui se sont
retrouvés sur la paille à vie.
    — C’est vrai, dit-il. Elle était mal organisée, cette grève-là.
Ceux qui la dirigeaient étaient des imbéciles, ou alors, ils avaient rien dans le
ventre. Tu verras, cette fois, ça sera pas la même chanson.
    — Mais vous ne m’avez toujours pas dit pourquoi vous faisiez
grève, demanda à nouveau Margaret.
    — Eh ben, voyez, il y a cinq ou six patrons qui ont pas
augmenté les salaires ces deux dernières années, tout en s’engraissant et en devenant
riches. Et voilà qu’ils nous disent que maintenant, faut qu’on se contente de moins.
Nous, on veut pas. On va d’abord les faire crever de faim, et on verra ensuite qui
voudra travailler pour eux. Ils veulent tuer la poule aux œufs d’or, si vous voulez
mon avis.
    — Et vous avez donc décidé de mourir pour vous venger !
    — Non, dit-il, c’est pas ça. Mais je préfère mourir à mon
poste plutôt que céder. Chez un soldat, on appelle ça de l’honneur. Alors pourquoi
pas chez un pauvre ouvrier des filatures ?
    — Mais un soldat meurt pour servir la cause de la nation,
pour les autres, répondit Margaret.
    Higgins eut un rire sans joie :
    — Ma fille, vous êtes bien jeunette, mais vous croyez quand
même pas que je peux nourrir trois personnes – Bessy, Mary et moi – avec seize shillings
par semaine ? Vous pensez que c’est pour moi que je fais la grève cette fois ?
C’est tout autant pour les autres que ce soldat que vous parliez, seulement lui,
il meurt pour quelqu’un qu’il a jamais vu ni entendu causer ; tandis que moi,
je me bats pour John Boucher, qu’habite deux portes plus loin, et qu’a une femme
malade et huit gamins, mais pas un seul en âge d’aller à l’usine. Et c’est pas seulement
lui que je défends, ce bon à rien qui peut faire marcher que deux métiers à tisser
à la fois, mais celle de la justice. Parce que je vous demande un peu, moi, pourquoi
on serait payés moins à cette heure qu’y a deux ans, hein ?
    — Ne me posez pas cette question, dit Margaret. Je suis
très ignorante. Posez la question à vos patrons. Ils vous donneront sûrement une
bonne raison. Ce n’est pas une simple décision arbitraire de leur part, à laquelle
ils sont arrivés sans motif valable.
    — Vous êtes pas d’ici, voilà tout, rétorqua-t-il avec dédain.
Vous en savez beaucoup, vous ! Posez la question aux patrons ! Ce qu’ils
nous ont dit, c’était de nous occuper de nos oignons et qu’eux, ils s’occuperaient
des leurs. À nous d’accepter les salaires rognés et de dire merci par-dessus le
marché ; leurs oignons, c’est de nous faire crever de faim en nous rognant
dessus et d’augmenter leurs bénéfices. La voilà, la vraie raison.
    — Mais enfin, objecta Margaret, bien décidée à ne pas céder,
bien qu’elle se rendît compte qu’elle l’agaçait, l’état du commerce ne leur permet
peut-être pas de vous donner la même rémunération.
    — L’état du commerce ! Ça, c’est le charabia des patrons.
Moi, ce que je causais, c’était du niveau des salaires. Les patrons, c’est d’eux
qu’il dépend, l’état du commerce ; et ils nous le mettent sous le nez comme
un épouvantail pour faire peur aux vilains petits enfants et les faire bien se tenir.
Moi je vous le dis, c’est leur rôle, aux patrons, ou leur rayon, comme y en a qui
disent, de nous faire travailler à bas prix, pour gagner plus sur notre dos ;
et c’est notre rôle à nous de pas nous laisser faire et de nous battre bec et ongles,
pas seulement pour nous, mais pour ceux qui sont autour de nous – pour la justice,
pour le respect des règles. On les aide à faire du profit, alors on devrait aussi
les aider à le dépenser, ce profit. C’est pas tant qu’on veut leur argent, cette
fois comme

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