Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
clair, il bouscula les codes de la virilité, en un temps où les hommes, ces guerriers, ne devaient sentir que la sueur et la poudre à fusil. Qu’est-ce que cela prouve ? Moins d’un siècle après, un Louis XIV ne sortira jamais sans fard, sans dentelle, sans parfum, et personne n’a jamais remis en question son hétérosexualité, très démonstrative il est vrai. Bien sûr, notre Valois fut entouré des Maugiron et Quélus – à qui il fit élever un monument démesuré après sa mort lors du « duel des mignons » –, des Épernon et Joyeuse – ces deux-là conseillers de premier rang, et que l’on appelait les « archimignons ». Autant de favoris qu’il combla de cadeaux et dont les mœurs tapageuses, les dépenses effrénées et les caprices furent insupportables à l’opinion. Et après ? Comment savoir la nature des relations qui les unissaient à lui ? Tous les signes que nous envoie l’époque sont si difficiles à lire. Voyez l’anecdote que nous rapporte ce même Dictionnaire des guerres de Religion à propos d’Henri II, le père, donc. Pour fêter le vaillant Montmorency, le jour même où il revient enfin de captivité, le roi annonce à toute la Cour l’honneur qu’il lui fera le soir même : il lui ouvrira sa chambre et son lit. Cela étonne l’ambassadeur de Venise qui rapporte le fait mais n’en déduit rien, pour autant, sur la sexualité du monarque, amant notoire de la belle Diane de Poitiers.
Les berdaches des Amériques
Pourquoi se plaindre de ces doutes, puisqu’ils ouvrent la voie à une problématique historique passionnante ? Oublions le cas d’Henri III que l’on ne saurait trancher, restons sur le sujet : qu’est-ce qu’être homosexuel au xvi e siècle ? Est-il seulement pertinent, à propos de cette période, de parler d’homosexualité ? Depuis les travaux du philosophe Michel Foucault, dans les années 1960-1970, on a appris à prendre garde à ce genre d’anachronisme. Les mots par lesquels on désigne les choses modifient le réel ou tout au moins la représentation qu’on en a. Le terme d’« homosexualité » fut inventé par un médecin à la fin du xix e siècle et cette invention correspond à une nouvelle façon de concevoir le fait. Désormais, un nouveau classement entre dans les esprits : les homos, les hétéros. Est-il légitime de l’utiliser pour parler des périodes qui précèdent le xix e siècle ou des pays auxquels la notion est étrangère ? Cela ne signifie pas que ce que nous appelons l’homosexualité n’existe pas, cela veut dire simplement qu’on n’en range pas la réalité dans les mêmes cases. Restons-en aux xvi e et xvii e siècles qui nous occupent, et allons voir par exemple ce qui se pratiquait dans les tribus indiennes d’Amérique du Nord telles qu’elles furent découvertes , comme on disait, à ce moment précis de l’histoire. Comme dans nombre de civilisations, chez ces peuples, la partition fondamentale entre les êtres était celle qui partageait le monde des hommes de celui des femmes. Pour autant, cela n’empêchait pas des accommodements. Ainsi les voyageurs européens, un peu partout sur le territoire de ce qui est aujourd’hui les États-Unis et le Canada, découvrent la pratique fort courante des berdaches , c’est-à-dire des hommes ou parfois des femmes qui, pour des raisons diverses, choisissaient de passer vers l’autre sexe et d’y vivre la vie assignée à ce genre-là. Selon les ethnologues qui l’ont étudiée, la pratique était codifiée, intégrée dans un système religieux complexe, en accord avec la nature et les éléments, elle ne causait aucune gêne à quiconque dans la tribu, ni moquerie à l’encontre des berdaches eux-mêmes, bien au contraire : presque tous étaient mariés. Les Européens de l’époque en furent horrifiés – en tout cas c’est ce qu’ils clament haut et fort dans les textes qu’ils nous ont laissés – et ils virent dans cette épouvante la preuve que ces sauvages l’étaient vraiment. Par ailleurs, ils étaient incapables de faire entrer cette réalité dans leurs façons de dire les choses. Le terme même de berdache (ou bardache ) donné par les Français et utilisé par tous les autres ensuite est impropre : il dériverait de l’arabe et désignerait le giton , le jeune esclave dont on tire des avantages sexuels. Cela n’a que peu de rapport avec la réalité décrite qui implique une façon de vivre et
Weitere Kostenlose Bücher