Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
Léonard de Vinci connaîtra, à Florence, la honte d’un procès pour « sodomie active » sur un jeune apprenti. Cela ne l’empêchera pas de continuer sa vie entouré d’une cour de jeunes gens plus beaux les uns que les autres. Michel-Ange ne cachera pas son amour fou pour Tomaso dei Cavalieri.
Comme on l’a vu, le xvi e siècle est aussi celui de la crispation religieuse. La haine de l’homosexualité y a sa part. On la retrouve souvent à l’œuvre dans la détestation que peuvent avoir les amis de Luther ou de Calvin pour le clergé romain au célibat fort suspect à leurs yeux, sans parler de leurs charges contre les monastères. À Genève, à Strasbourg, sous la nouvelle loi du Dieu réformé, la lutte est impitoyable contre tout manquement aux mœurs, l’adultère, la bigamie ou, bien sûr, horreur de l’horreur, le péché abominable.
Le côté catholique ne vaut pas mieux, même si les limites de la réprobation sont souvent floues. Un poète du temps, Marc Antoine Muret (1526-1585), professeur de Montaigne, maître de Ronsard, est accusé d’hérésie et de sodomie. Il doit fuir Paris, trouve refuge à Toulouse d’où des accusations identiques le chassent. Il trouve enfin un asile dans le seul lieu curieusement sûr : Rome. En tout cas le pape décide de le protéger mordicus . Sur le tard, Muret lui rendra la politesse : il entrera dans les ordres. Il y terminera ses jours, humaniste chargé de gloire et d’honneurs.
Les libertins
D’autres que lui connaîtront une fin moins heureuse. Avançons d’un pas dans la chronologie pour quitter le siècle d’Henri III et aller jusqu’au début de celui qui nous intéressera bientôt : le xvii e . Attardons-nous sur un chapitre de son histoire culturelle : les libertins. La dénomination dira sans doute quelque chose à de nombreux lecteurs. On la trouve souvent dans les manuels de littérature. Ils nous enseignent qu’au xvii e siècle, le mot (dérivé du latin libertinus , affranchi) désigne des écrivains ou des philosophes qui professent des idées hardies en matière religieuse, parfois proches de l’athéisme, souvent déistes et n’hésitant pas à moquer les dogmes catholiques. Ils ajoutent que ce n’est qu’au xviii e siècle que le terme – et son corollaire le libertinage – prendra la connotation sexuelle que l’on continue à lui attribuer. Voire.
Sur le plan philosophique, un des promoteurs les plus radicaux de ce courant s’appelle Lucilio Vanini. Il est italien, né dans les Pouilles en 1585. Il entre dans les ordres puis parcourt l’Europe pour y répandre des idées qui, peu à peu, deviennent de plus en plus audacieuses : il finit par réussir à démontrer que toutes les religions sont des impostures et à remettre en cause l’immortalité de l’âme. Dans la vie, il est d’un épicurisme qui le pousse à ne refuser aucun des excès de la chair, surtout ceux qu’il peut pratiquer avec des garçons : « Je suis philosophe, dira-t-il à ses juges, il est normal que je pratique le péché philosophique. » Comme Muret dont nous parlions peu avant, il fuit Paris pour Toulouse. Il y finira. En 1619, il est brûlé pour l’ensemble de ses crimes. Auparavant, à cause de celui de blasphème contre Dieu et la vraie foi, on lui a arraché la langue. On prétend que le cri terrible qu’il poussa alors s’entendit dans toute la ville.
À Paris, juste après, dans les années 1620, sous le jeune Louis XIII donc, ceux que l’on appelle « les libertins » sont quelques jeunes aristocrates joyeux drilles. Ils s’appellent Maynard, Saint-Amant, Boisrobert. Une bande de poètes remuants qui pensent qu’il est temps, dans les années qui suivent le long cauchemar des guerres de Religion, de respirer un peu ; qui passent plus de nuits à la taverne qu’à l’étude, qui riment avec grâce, mais quand ça leur vient ; et qui entendent profiter de toute leur liberté, y compris sexuelle. C’est le cas du plus célèbre d’entre eux à l’époque, Théophile de Viau (1590-1626). Son nom est bien oublié aujourd’hui, et pendant longtemps on ne l’a cité qu’à travers les vers méchants que Boileau, quelques décennies après sa mort, écrivit sur lui :
Tous les jours à la cour un sot de qualité
Peut juger de travers avec impunité,
À Malherbe, à Racan, préférer Théophile…
Lisez l’élégante poésie de celui-là, passez aux pensums du pesant Malherbe et vous verrez à
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