Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
querelles de famille à ce moment-là ? Par la guerre. Dans un premier temps, le roi fait enfermer la retorse Marie au château de Blois. Elle s’en évade et, sitôt sortie, fait le tour du pays pour lever tout ce qu’elle peut d’armée contre son propre fils. Il faudra des sièges, des batailles et la finesse d’un Richelieu, alors au début de sa vertigineuse ascension, pour réconcilier par deux fois les deux parties, avant que la vieille ne se brouille aussi avec le cardinal et finisse en exil.
Quand ce n’est pas la mère qui conspire, c’est le frère : Gaston d’Orléans. C’est plus classique. Dans une monarchie, les premiers à tisser des manigances contre le souverain sont toujours les plus proches du trône. Comment n’y penseraient-ils pas ? C’est à eux que le trône reviendra si la partie est bien jouée. La tradition des frères comploteurs n’a rien de spécifiquement français, on la retrouve un peu partout. L’Empire ottoman de l’époque avait d’ailleurs résolu la question de façon radicale : pour éviter les problèmes de famille, il était entendu qu’après chaque succession, un sultan avait le droit de faire solennellement étrangler ses cadets.
Le drame des régences, ce n’est pas le gouvernement des femmes – dans d’autres pays d’Europe, au même moment, certaines reines prouvent qu’elles valent de loin les rois –, c’est la minorité du roi. Elle force à une parodie de pouvoir que tout le monde fait semblant d’accepter mais qui déstabilise : comment cela pourrait-il se passer autrement dans des têtes forcées à se courber devant un chiard parfois à peine sorti des langes ? Un exemple. Quand Anne d’Autriche, juste après la mort de son mari Louis XIII, veut faire casser son testament qui limitait trop son pouvoir, elle convoque le Parlement. Il se réunit sous le sceptre de la seule autorité légitime, le roi, c’est-à-dire un bambin qui n’a pas encore cinq ans. Pas encore cinq ans ! Imagine-t-on cela ? Seignobos, le grand historien républicain, nous rapporte la scène 2 : « La reine et la gouvernante levèrent le petit roi tout droit sur le trône. On lui avait appris à dire “Je suis venu pour dire ma volonté à mon parlement, mon chancelier dira le reste”. Il eut un caprice et se rassit sans vouloir rien dire… », et notre historien ajoute : « Mais on fit comme s’il avait parlé. » C’est tout le problème. Tout le monde fait « comme si », tout le monde regarde l’enfant en se disant, je lui ferai deux caresses et il me donnera tout, et toutes les ambitions se déchaînent : d’où les rivalités, les révoltes.
On ne sait ce qui se passa ce jour-là dans la tête du petit Louis XIV, lorsqu’il « eut son caprice » et que personne n’en tint compte : quand je serai grand, ils seront obligés d’être gentils ? Son éducation, nous raconte encore Seignobos, fut très négligée. On faisait tellement peu attention à lui qu’on faillit le laisser se noyer dans un bassin. On connaît d’autres scènes qui le marquèrent terriblement. Ainsi lors de la Fronde, qui plongea le pays au bord du chaos. On cite toujours la nuit terrifiante qui voit Anne d’Autriche, sur le conseil de Mazarin, quitter Paris de toute urgence avec ses deux fils parce que la révolte gronde tant que la ville n’est plus sûre. La reine se réfugie au château de Saint-Germain et comme on y arrive à l’improviste, le futur Roi-Soleil doit coucher sur de la paille. On cite aussi l’épisode plus tardif où le petit roi voit la foule entrer dans sa chambre pour vérifier que, pour une fois, il ne s’est pas enfui. Comment ne serait-on pas marqué par de telles peurs ? C’est sur elles, nous racontent toujours les historiens, sur la paille de Saint-Germain ou la terreur de se réveiller face à une foule menaçante, que croîtra le besoin d’autorité.
Une autre voie : l’exemple anglais
Dans la logique même de l’histoire personnelle de notre monarque, dans la logique même de l’histoire comme on vient de la raconter, l’absolutisme de Louis XIV s’explique donc aisément : quelle autre solution qu’une poigne de fer pour éviter au pays de sombrer à nouveau dans les tourments de ces frondes, de ces révoltes incessantes ? Ne réécrivons pas l’histoire. Elle fut celle-là. Contentons-nous de rappeler qu’ailleurs en Europe, d’autres pays trouvèrent d’autres voies pour résoudre des problèmes
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