Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
baptême de Clovis. Il a, en réalité, été lentement élaboré au cours du Moyen Âge. Ce sont les juristes de Charles V qui l’ont théorisé : en pleine guerre de Cent Ans, alors que le trône était constamment menacé par le cousin anglais, il était prudent de mettre Dieu de son côté. Depuis bien plus longtemps (c’est attesté depuis Saint Louis), on reconnaît aux souverains, dès le lendemain du sacre, les pouvoirs quasi miraculeux que cette onction du Ciel leur a conférés : celui de guérir les écrouelles, une forme de tuberculose donnant d’affreux ganglions au cou. Tous les rois, que ce pouvoir fait appeler des rois thaumaturges (littéralement : opérateurs de miracles), se plient, lors des grandes fêtes religieuses, à de longues cérémonies durant lesquelles ils imposent les mains sur des centaines, parfois des milliers de malades en prononçant la formule consacrée : « Le roi te touche, Dieu te guérit. »
Louis XIV concentre, cristallise tout cela d’une façon extraordinaire. Les historiens affirment qu’il n’a jamais prononcé la phrase qu’on lui prête : « L’État, c’est moi. » Quelle importance ? Toute sa politique l’incarne. Toutes ses actions sont conduites au nom de la raison d’État, et lui seul en connaît les mystères. Il n’est secondé par personne dans cette tâche et dans aucun dossier. Il accepte, par grandeur d’âme, d’« être aidé des conseils » de ceux à qui il les demande, nuance. Et qui oserait s’opposer à ses volontés ? Elles sont celles de Dieu lui-même, dont il est le lieutenant sur Terre. Bossuet (1627-1704), évêque de Meaux, précepteur du dauphin et idéologue en chef du régime, se charge de donner sa sainte bénédiction à toutes ces conceptions : « Dieu a mis dans les princes quelque chose de divin », écrit-il dans un des livres qu’il publie pour bénir encore et encore ce maître dont on oserait écrire qu’il l’idolâtre, si l’idolâtrie n’était un horrible péché de païens.
Que dire aussi de l’incroyable longévité de ce règne ! Louis est roi en 1643, prend le pouvoir effectif en 1661 et ne le cède qu’à sa mort, en 1715. Imaginons la même chose aux xx e et xxi e siècles. Cela signifierait un enfant arrivé sur le trône sous Pétain, gouvernant à l’époque de De Gaulle et réglant toujours le moindre dossier, la moindre directive, après Sarkozy.
Il y a de la prouesse dans tout cela et on peut comprendre qu’elle entraîne une certaine fascination. Comment ne pas voir aussi combien cette fascination aveugle ? Il se publie chaque année des quantités de livres sur le « Grand Siècle », comme on l’appelle. Ce sont presque toujours des livres de fans . À les parcourir, on a le sentiment que, trois siècles après sa mort, on ne s’autorise toujours à parler de Louis XIV que comme on en parlait de son vivant, pour en tisser de délirantes louanges. On force un peu le trait, bien sûr. Les grands historiens tranchent. L’excellent Pierre Goubert, par exemple, dont on ne saurait trop conseiller le livre le plus célèbre 1 , remarquable d’intelligence et d’érudition. Sa qualité première est précisément de tenir toujours, vis-à-vis de son sujet, une saine distance critique. N’ose-t-il pas, dès la préface qu’il écrit pour une nouvelle publication de son ouvrage, ce petit crime de lèse-majesté : « L’homme jeune avait de la séduction […], le vieillard infiniment de dignité […]. L’homme mûr, ivre d’encens, cassant, vaniteux, souvent sot, m’a toujours paru assez insupportable. » Il avait prévenu quelques lignes auparavant : « Peut-être à tort, mais sincèrement, j’ai toujours pensé que le travail de l’historien ne se ramenait pas à l’exaltation des gloires nationales. » Quel dommage que dans la littérature historique, et surtout dans sa variante populaire, tant d’autres ne l’entendent pas ! Que de flatteries ! Que d’extases ! Avec eux, on a le sentiment qu’on ne peut visiter le règne de Louis XIV que comme on visite Versailles, en se sentant obligé de lancer des oh ! et des ah ! admiratifs devant chaque marche, chaque escalier, chaque statue. Allons ! Nous sommes en république, non ? On a quand même le droit de trouver Versailles un peu trop doré, un peu trop pompeux, et pour tout dire souvent lourdingue sans se faire traiter de mauvais Français. Essayons donc la même chose avec le Grand Roi
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