Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
tentée. La foule retient son souffle et prie dans les églises. Elle est couronnée de succès. Dès que la nouvelle est assurée, on fait chanter un Te Deum . Ne l’oublions pas : c’est aussi ça l’absolutisme à la Louis XIV, un régime dans lequel on fait chanter la messe pour célébrer le retour à la santé d’un trou du cul.
Grandeurs et misères de la Cour
Que pouvait-il se passer dans la tête d’un homme trouvant normal de prendre son bouillon, de faire trois pas, ou de lâcher un vent devant des centaines de spectateurs ? Que pouvait-il bien se passer, pourrait-on se demander tout autant, dans la tête de ceux qui venaient le regarder et prenaient pour un honneur insigne le fait d’avoir le droit de lui passer sa cuillère ou de ramasser sa canne ? Voilà encore un point étonnant de l’affaire. On l’a dit déjà, du point de vue du monarque, la mise en cage de la noblesse, derrière les barreaux dorés et grotesques de la vie de cour, est un coup de génie. Pour être sûr que plus aucun grand du royaume ne complote dans son coin, comme aux temps féodaux, ou ne manigance contre la Couronne comme sous la très récente Fronde, le monarque a organisé ce grand zoo où il les fait tous manger dans sa main. Malheur à ceux qui n’y viennent pas : un tel, qui se refuse à sortir de sa lointaine province, fait demander une place, une faveur. « Je ne le vois jamais », dit le roi. Adieu la faveur !
Toute la noblesse est ainsi réduite à l’état d’animaux de compagnie. Elle est partout où Il est, au Louvre ou à Saint-Germain, puis à Versailles, ce petit pavillon de chasse de Louis XIII où le fils a décidé de faire bâtir le plus beau château du monde, et où l’on emménage en 1682, alors que tout est encore en chantier. La vie dans ce château fait sans doute encore rêver 80 % des habitants de la planète entière : être marquise ou duc à la cour de Versailles, cela représente partout au monde l’idée du luxe, de la grandeur, du chic. Si ces gens savaient combien devait être pesante la vie dans cet univers confiné, sans confort, au rituel toujours répété, la chasse, les jeux, les jeux, la chasse et les commérages, les médisances, la promiscuité et les broutilles qui deviennent des affaires d’État !
Tout est code à Versailles. Pour les ambassadeurs, on ouvre les portes à un ou deux battants selon l’importance que l’on accorde aux relations avec tel ou tel pays. Pour les courtisans, les signes sont tout autant cryptés : pour signifier son contentement, le roi invite celui-ci à aller à la chasse, ou celui-là à venir nourrir avec lui les animaux de la ménagerie. Et selon qu’il parle à tel ou tel autre à voix un peu plus haute, ou un plus basse, tous les autres se perdent en commentaires qui peuvent durer la semaine.
Certains, les plus grands, les plus riches, obtiennent le droit de se faire construire des hôtels particuliers à Versailles, mais hors du château : ouf, ça leur permet au moins de souffler une nuit de temps en temps. L’immense majorité est logée dans des réduits miteux, sans le moindre confort, et tout le monde se retrouve dès le matin les uns sur les autres, à commenter des riens, à caqueter autour d’un rituel d’un grotesque total, à se monter la tête parce que tel prince plutôt que tel autre a obtenu l’insigne privilège, la veille au soir, de tenir le bougeoir au coucher ou de passer au roi sa robe de nuit. Et tous, princes et ducs, comtes et marquis, qui se croyaient depuis des générations l’élite du royaume, ont accepté le jeu et ont fait semblant de prendre cette vie de laquais pour le plus grand des honneurs. Misère de la vanité humaine !
1 Louis XIV et vingt millions de Français , « Pluriel », Hachette, 1998.
2 La France de la monarchie absolue 1610-1715 , recueil d’articles de L’Histoire , « Points », Le Seuil, 1997.
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Des taches
sur le soleil
Tempérons ce que nous avons écrit au chapitre précédent : l’histoire populaire est souvent confite en dévotion pour la personne de Louis XIV et les fastes de Versailles. Rares sont les livres qui n’admettent pas que, pour le reste, la France de ce temps a aussi connu ses zones d’ombre. La circonspection à l’égard du règne a d’ailleurs commencé fort tôt. Louis a laissé derrière lui un royaume ruiné par les dépenses somptuaires, le train de vie, les constructions prestigieuses, les guerres. En 1715, la
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