Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
eux-mêmes sont si incertains : après la Fronde et avant d’obtenir son pardon et de servir à nouveau Louis XIV, le grand Condé a servi le roi d’Espagne avec tout autant de panache et de vaillance. Lors de la bataille des Dunes, près de Dunkerque, il a même combattu face à Turenne, l’autre grand chef militaire de l’époque, ce qui ne l’empêchera pas de combattre à côté de lui un peu plus tard. Et encore, les maréchaux peuvent espérer de la guerre leur moisson de gloire, mais le fantassin ? La misère au village devait être bien grande pour qu’une mince solde ou la perspective de se payer en pillage en cas de victoire suffise à ce que l’on engage jusqu’à sa vie.
On connaît mieux une autre conséquence, pourtant bien oubliée, des conquêtes du Grand Roi : la profonde résistance qu’elles ont pu susciter chez ceux qui en furent victimes. Le prisme national nous a appris à ne pas trop nous attarder sur ce genre de détail gênant de la formation de notre pays. Patriotes naïfs, nous voulons toujours croire que partout où ils arrivent, les Français sont accueillis avec des petits drapeaux et des cris de joie : les populations ne sont-elles pas si fières, par principe, d’être soudain rattachées au plus beau pays du monde ? Eh bien non ! Il faudra des décennies pour mater l’héroïque résistance antifrançaise des Francs-Comtois. Lille voit elle aussi l’annexion comme une catastrophe : elle prive la ville de son commerce naturel avec les riches cités des Pays-Bas, Bruxelles ou Gand. La lutte des Lillois contre les Français sera farouche. Il faudra d’autres occupants un peu plus tard pour que la région change de position : au tout début du xviii e siècle, les Hollandais conquièrent brièvement la ville et font l’erreur de vouloir convertir la population au calvinisme. Les Français qui reviennent après 1713 semblent finalement préférables, mais ils ne sont qu’un pis-aller, on l’a compris.
Dans d’autres endroits enfin, les guerres de Louis XIV ont beaucoup contribué à cimenter une identité commune, sur une base à laquelle nous ne pensons pas souvent non plus : la haine de la barbarie française. Ce sera le cas après un des épisodes les plus atroces de la période, le sac du Palatinat (1689).
Une fois encore, le prétexte de la guerre était mince. Philippe d’Orléans, le frère de Louis, est marié à une princesse allemande que l’on appelle « la Palatine », parce que son père est le maître de cet État du Saint Empire. Le père meurt, l’héritage est disputé. Curieusement, Louis XIV se pique de défendre avec force les intérêts menacés de la pauvre belle-sœur (qui n’avait rien demandé et en sera horrifiée) : il lance ses troupes. Les méthodes employées sont de celles qui, aujourd’hui, conduiraient droit devant un tribunal. Elles font d’autant plus horreur, nous dit l’historien de l’Allemagne Joseph Rovan 2 , qu’elles ne doivent rien aux aléas de la guerre mais sont froidement « ordonnancées dans le luxe d’un cabinet ministériel », celui de Louvois, élégant ministre de la Guerre et authentique criminel en dentelles. Quinze ans plus tôt, lors d’une précédente guerre, la région a déjà été pacifiée par Turenne. Le
retour des Français dépasse tout ce qu’on peut imaginer, alors, en épouvante : la terre est brûlée, les villes et les villages sont détruits méthodiquement, les habitants qui n’ont pas fui et osent protester sont mutilés ou froidement assassinés. La ville d’Heidelberg gardera longtemps quelques ruines intactes pour montrer au monde de quoi la France était capable. Durant des décennies, nous dit Seignobos, dans le Palatinat même, par haine, on continuera à donner aux chiens les noms des maréchaux coupables de ces exactions. Le continent entier en sera atterré. On cite toujours les conséquences culturelles de l’hégémonie française sur les pratiques culturelles de la fin du xvii e siècle et du xviii e : elles sont indéniables. Grâce ou à cause de Louis XIV, l’Europe parle français, l’Europe pense français et le continent se couvre des « petits Versailles » que les princes se font construire sur le modèle du nôtre. N’oublions pas non plus les conséquences des exactions des soudards du Grand Roi. Le sac du Palatinat, nous explique Henry Bogdan dans son Histoire de l’Allemagne 3 , a beaucoup fait « pour développer un
Weitere Kostenlose Bücher