Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
mentionné frappe tout de même un œil d’aujourd’hui : à un moment donné, pour échapper à une querelle familiale, un héritier du royaume des Lombards (ce qui serait aujourd’hui le Nord de l’Italie) vint chercher abri au Fraxinet. Peu importe le détail de l’affaire, le fait seul est parlant : ainsi donc, au x e siècle, un prince chrétien brouillé avec les siens venaient naturellement trouver refuge chez des musulmans.
On se souvient, au début de notre histoire, d’Eudes d’Aquitaine n’hésitant pas à donner la main de sa fille à un dignitaire mahométan. À l’époque où Charles Martel et les siens cherchent à mettre la main sur la Provence, de la même manière, le patrice de Marseille fit appel à ses voisins les Arabes de Septimanie : pour lui, le vrai péril venait du nord, c’étaient les Francs. Pour aller dans le même sens, on pourrait citer encore maints épisodes de l’histoire de l’Espagne lors des premiers siècles de domination arabe : elle recèle également nombre d’histoires de princes chrétiens s’alliant avec des dignitaires musulmans pour contrer leurs rivaux, ou de vaillants soldats mettant leur épée ou leur cimeterre au service d’un camp, puis d’un autre. On aura compris à quoi nous voulons en venir : il ne faut pas relire cette époque avec les lunettes d’une autre. Bien sûr, au viii e siècle, et les chrétiens et les musulmans avaient conscience de l’opposition de leurs religions. Mais cette opposition n’empêchait pas toute forme de rapprochement. La crispation entre la « chrétienté », vécue comme un bloc, et l’islam, également refermé sur lui-même, n’arrivera que des siècles plus tard. C’était la première idée fausse que nous voulions démonter.
Puissance d’une religion nouvelle, l’islam
La deuxième découle de l’image que la plupart des Occidentaux non musulmans se font aujourd’hui de la religion de Mahomet : celle d’une religion vieillie, sclérosée, luttant contre les démons du fanatisme, incapable de proposer au monde un message ouvert, de porter des valeurs qui fassent envie. Ce préjugé occidental existe depuis un ou deux siècles. Comme on s’en doute, les récents développements de l’histoire de la planète, la peur du terrorisme et l’ islamisme , ce cancer de l’islam, ne font que le renforcer. On peut se demander s’il est raisonnable d’enfermer la foi d’un milliard d’individus dans des clichés aussi réducteurs, mais peu importe, c’est ainsi qu’elle est perçue et ce prisme nous intéresse ici. C’est lui qui contribue à déformer la lecture que l’on continue à faire des Français de notre bataille de Poitiers. Dans de nombreux manuels, dans la plupart des esprits, la victoire de Charles Martel est spontanément considérée comme un fait positif : grâce à lui, nous avons échappé aux Arabes, autant dire au pire.
Seulement, la religion qui pousse aux vii e et viii e siècles les nouveaux conquérants n’a rien à voir avec l’idée que l’on peut s’en faire aujourd’hui. Leur foi est celle de la jeunesse, leur religion vient d’être révélée, elle est toute d’enthousiasme. Elle accouche bientôt d’une des civilisations les plus brillantes que l’humanité ait connues, une civilisation de conquérants et de soldats, mais aussi de poètes et de savants, d’érudits et d’artistes extraordinaires. Bagdad vers l’an 900 sera considérée par tous ceux qui la visitent comme la plus belle ville du monde. Elle en est d’ailleurs la plus peuplée. Et bientôt elle sera concurrencée sur tous les plans par Cordoue, la perle d’Al Andalus, l’Espagne musulmane. Il ne s’agit pas de tomber dans les excès d’admiration pour cette Andalousie des califes des historiens romantiques : par détestation du catholicisme, ils finirent par en faire un paradis absolu. Elle ne mérite sans doute pas tant d’honneur. Au cours des huit siècles qu’elle dura, elle connut comme toute civilisation son lot de dynasties obscurantistes, de crispations puritaines, mais aussi, c’est indéniable, inventa un raffinement, un art de vivre, une tolérance religieuse qui contrastent avec la noirceur du haut Moyen Âge occidental.
En ayant donc recadré les choses, osons nous le demander à nouveau : si les Arabes avaient gagné à Poitiers, et si, contre toute attente, ils avaient décidé d’étendre leur empire à la Gaule, celle-ci aurait-elle vraiment
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