Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
perdu au change ? Il est certain qu’aujourd’hui encore cette question apparaîtra sacrilège à beaucoup. Curieusement, elle n’est pas si neuve. On enseignait même pareil blasphème dans les classes primaires il n’y a pas si longtemps. Ainsi ce commentaire, suivant la présentation de la bataille de Poitiers, que je retrouve dans un livre de classe de l’entre-deux-guerres 3 : « Si les Arabes avaient été les plus forts […] ils auraient rendu la France plus belle et plus riche. Ils auraient bâti de grandes villes et de superbes maisons […]. En effet, les Arabes n’étaient pas des Barbares. Ils étaient plus civilisés que les Francs d’alors. » Il est vrai que le manuel date de la période coloniale. Le raisonnement servait surtout à être inversé : maintenant c’est nous, les Français, qui sommes « plus civilisés », aussi, chers petits Arabes, laissez-vous coloniser, et vous verrez comme vos pays seront beaux.
Glissons donc sur ce qui peut n’apparaître que comme une des ruses de la propagande impériale. N’oublions pas quelques faits. La conquête arabe fut souvent combattue. Dans de nombreux endroits, en Afrique du Nord par exemple, elle buta longtemps sur l’opposition obstinée de peuples refusant de se soumettre. Mais dans d’autres pays, les cavaliers à turban furent accueillis comme des libérateurs, du moins par certaines parties de la population. Les Juifs d’Espagne, qui avaient été atrocement persécutés par les rois wisigoths, firent ce qui était en leur pouvoir pour aider à la victoire d’une religion qui leur promettait la protection et la tolérance. Cent ans avant Poitiers, lorsque les Arabes mirent la main sur le Proche ou le Moyen-Orient (l’Irak, la Syrie, la Palestine), de nombreux chrétiens firent de même, en particulier ceux qui avaient été décrétés hérétiques lors des innombrables querelles théologiques qui avaient ensanglanté les débuts du christianisme.
Partout, les premiers siècles de domination musulmane furent des temps d’expansion intellectuelle et de prospérité. Comment en serait-il allé en Gaule ? Aurait-on vu à Toulouse, à Bordeaux, de riches émirs se faire construire des palais aussi beaux que celui de l’Alhambra, à Grenade ? Les mosquées de Provence seraient-elles aujourd’hui encore aussi célèbres que celle de Cordoue ? Peut-être les musulmans auraient-ils réussi peu à peu à concrétiser leur nouveau rêve, recréer autour de la Méditerranée l’Empire romain, unifié, paisible ? Et peut-être les peuples n’en auraient pas été plus malheureux ?
Chrétiens d’Orient, musulmans d’Europe
Comment le savoir ? L’esprit a du mal à concevoir pareilles images à cause de cette troisième idée dont il serait bon, enfin, de se débarrasser aussi : celle d’une Europe qui serait chrétienne de toute éternité, destinée depuis la nuit des temps à faire face à un monde voué tout aussi éternellement à être autre, l’Afrique du Nord, l’Orient. Il ne s’agit pas de nier les réalités historiques : tout notre continent se vivra pendant des siècles comme « la chrétienté », de la même manière que l’Égypte ou le Maghreb se vivront, et se vivent toujours d’ailleurs, comme des « terres d’islam ». Pour autant, contrairement à ce qu’on pense sans réfléchir, tout cela n’a aucun fondement ni religieux ni éternel. Je n’écris pas cela en étant mû par un quelconque sentiment antireligieux, bien au contraire. À mon sens, la qualité la plus noble des deux grands monothéismes dont nous parlons est de transcender les frontières, les ethnies, les patries, et de poser que la croyance est liée à une foi ou à une pratique, pas à une terre. Il a existé pendant des siècles un islam profondément européen : celui de l’Espagne musulmane, dont on vient de parler. Un autre a pris sa place plus à l’est dès le xvi e siècle et il existe toujours : celui de Bosnie, d’Albanie, legs de l’Empire ottoman dans les Balkans. Un nouvel islam d’Europe est en train de naître, grâce aux nombreux musulmans qui le font vivre aujourd’hui.
Par ailleurs, contrairement à ce que veulent nous faire croire quelques islamistes bas du turban, il existe toujours un christianisme oriental essentiel et fervent, au Liban, en Égypte, en Syrie, en Irak, il est l’héritier le plus direct des premiers siècles de cette religion. Tous les grands conciles où furent
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