Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
tient la frontière vers le Danube, et deviendra l’Autriche). On fait venir à la cour palatine quantité de lettrés, qui peuvent régénérer la pensée théologique et protéger la culture. L’Anglo-Saxon Alcuin est le plus célèbre. On frappe une monnaie d’argent qui sert à faciliter le commerce. Les copistes mettent au point une écriture plus lisible que celles qui précédaient. On l’appellera la « caroline ». Et comme aucun écolier ne l’ignore, le chef des Francs relance l’organisation de l’enseignement, dispensé au palais lui-même ou dans les monastères. Ce que l’on dit moins dans les écoles – tant mieux, c’est trop immoral –, c’est qu’il n’a jamais réussi à apprendre à lire ni à écrire convenablement lui-même, et que cela ne l’a pas empêché de monter haut. Très haut.
L’homme a donc le glaive dans une main, la croix dans l’autre, et il règne sur un domaine qui couvre la moitié de l’Europe. Pour bien des gens dans son entourage, cela rappelle des temps que l’on avait trop vite cru révolus. Il ne manque que le titre. C’est le pape qui le lui donnera. Comme naguère un de ses prédécesseurs l’avait fait auprès de Pépin, le pontife est venu à Paderborn, où demeure alors notre roi des Francs, implorer de l’aide contre ses rivaux. Il ne s’agit plus de lutter contre les Lombards, qui sont vaincus, mais de le sortir des sombres querelles entre les grandes familles romaines qui gèrent les candidatures au trône de saint Pierre. Charlemagne accepte de l’appuyer. Quelque temps plus tard, il se rend à Rome pour s’assurer que plus rien ne le menace. Et dans l’ancienne capitale d’Occident, dans la nuit de Noël de l’an 800, alors qu’il s’agenouille pour prier, le successeur de saint Pierre dépose sur son front souverain une couronne oubliée depuis trois siècles. Très exactement trois cent vingt-quatre ans après la déposition du petit Romulus Augustule par un roi barbare, un autre roi barbare relève à Rome la dignité impériale. Il était roi des Francs et des Lombards, il devient en outre « Charles, grand et pacifique empereur, gouvernant l’empire des Romains ».
Les vicissitudes de la postérité
Brossée à grands traits, telle est donc la vie du grand Charles. Le point qui nous importe maintenant est de s’interroger sur les interminables vicissitudes de sa postérité.
À dire vrai, pour ce qui concerne notre cadre national tout au moins, les conceptions ont radicalement changé récemment. Pendant longtemps, vue de France, l’affaire était vite pliée : Charlemagne était annexé purement et simplement. On en faisait un de nos rois, aussi sûrement qu’Henri IV ou Louis XV. Et cela remonte à loin. On vient de mentionner la Chanson de Roland , la plus belle des chansons de geste du Moyen Âge, le plus ancien texte littéraire français. Son apport à notre littérature est immense, son rapport à la réalité historique est plus élastique. Les montagnards basques qui ont attaqué l’arrière-garde franque au viii e siècle sont devenus trois siècles plus tard de perfides Sarrasins. Charles est devenu le célèbre « empereur à la barbe fleurie », quand il n’était alors que roi, et que toutes les monnaies de son époque le représentent soit glabre, soit moustachu. Et tout naturellement, on lui fait gouverner le royaume de « France la douce ». Le pli est pris, il faudra longtemps pour s’en défaire. Dans la galerie des Batailles du château de Versailles, par exemple, dont le roi Louis-Philippe, au xix e siècle, avait demandé qu’elle soit ornée de toiles célébrant toutes les grandes victoires de l’histoire de France, on croise parmi d’autres un impressionnant tableau représentant « Charlemagne recevant à Paderborn la soumission du roi des Saxons » – autrement dit un roi d’Austrasie recevant dans une ville allemande la soumission d’un roi venu des côtes de la Baltique – comme si tout cela était aussi national que les conquêtes de Louis XIV en Artois. Jusqu’au milieu du xx e siècle, on ne trouve guère d’historiens ou de manuels qui mettent en doute cette naturalisation surréaliste, et la moitié des Français doivent encore l’avoir en tête – le Français a l’annexion historique facile.
Peu à peu, toutefois, un autre stéréotype s’est mis en place. On a fini par se souvenir que l’Empire franc couvrait la moitié du continent, que
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