Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
c’était à partir du morcellement de cet empire qu’étaient nées les grandes nations européennes – la France, l’Allemagne, l’Italie, bientôt l’Autriche ou la Bohême –, et voilà notre empereur métamorphosé en « père de l’Europe ». Des prix « Charlemagne » récompensent chaque année de grands Européens et sont remis à Aix-la-Chapelle, ville actuellement allemande, qui fut sa capitale. Et tous les manuels français reprennent désormais cette figure. Pourquoi pas ? Le rapprochement a lui aussi quelque chose d’anachronique : la grandeur de l’Union européenne, c’est d’essayer peu à peu d’inventer une forme de gouvernement qui dépasse, transcende le cadre national. On comprend mal à quoi peut lui servir le modèle d’un empire constitué avant que les nations n’existent. Charlemagne lui-même se voyait comme un nouveau César. On le voit plus difficilement en futur Jacques Delors. Admettons-le, le nouveau cliché est moins extravagant que le précédent. Il a toutefois un inconvénient. En « dénationalisant » l’empereur, il nous fait oublier l’importance que le Franc a eu sur la construction de tant d’autres histoires européennes.
Karl der Grosse , Carlo Magno et Carolus Magnus
Pour nous, Français, il est donc Charlemagne. Est-ce une raison pour oublier ces nombreux avatars, par exemple Karl der Grosse , ce personnage clé de l’histoire allemande ? Elle aussi, bien évidemment, l’a annexé pendant des siècles. Et pourquoi pas ? Comme Clovis avant lui, on sait qu’il était né dans ce qui est désormais la Belgique, quoiqu’on ignore le lieu exact. Il était le chef d’un peuple germain, parlait évidemment une langue germanique, consacra une partie de sa vie à soumettre des peuples qui ont laissé leur nom à des régions aujourd’hui allemandes, la Saxe, la Bavière ; il finit par établir sa capitale dans une ville que nous appelons Aix-la-Chapelle et que l’on trouve sur les cartes au nord de Cologne, sous son nom local : Aachen. Surtout, il fut empereur. Quand on parle d’empire à un Français, il pense à l’Antiquité ou au xix e siècle. Un Allemand pense spontanément au haut Moyen Âge. À la mort de Charlemagne, son immense domaine, le regnum francorum , la Francie , est partagé entre ses fils ; c’est de ce partage que naîtront les embryons des nations d’Europe, la France, l’Allemagne, l’Italie, etc. Il laisse aussi ce titre prestigieux emprunté à Rome, et celui-là n’appartiendra pas à notre histoire à nous. Cela aurait pu. Les rois de ce qui allait devenir la France auraient pu chercher à s’emparer de la noble dignité impériale. Sauf exceptions, ils ne l’ont pas fait. Il faut attendre Napoléon – qui déclara : « Je ne succède pas à Louis XVI, je succède à Charlemagne » – pour que cette couronne trouve une place dans l’histoire de France. À l’Est, elle en trouva une bien avant.
Après Charlemagne, le grand homme de l’histoire européenne s’appelle Otton le Grand (912-973), héritier d’une dynastie saxonne. Peu de Français le connaissent, c’est dommage. En 962, à Rome, comme le roi des Francs un siècle et demi avant lui, il est couronné empereur par le pape. C’est lui, ainsi, qui fonde ce qu’on appellera d’abord le « Saint Empire romain » puis, des siècles plus tard, le « Saint Empire romain germanique ». Le plus souvent, en histoire médiévale, on appelle cette entité « l’Empire ». Elle est vaste : l’Allemagne, l’Autriche, la Bohême, la Slovaquie, la moitié de la botte italienne, et tout l’Est de la France en font partie. Cambrai, Besançon, Lyon, Arles, la Provence, la Bourgogne, seront longtemps des « terres d’Empire ». Les limites occidentales en seront fixées aux « quatre rivières », comme on disait, c’est-à-dire l’Escaut, la Meuse, la Saône et le Rhône. Toutefois, c’est l’actuelle Allemagne qui s’en vivra le plus souvent comme le cœur. Cette grosse machine impériale se montre rapidement ingouvernable. Un de ces problèmes infernaux est que la désignation de chaque nouvel empereur se fait par élection. Ce sont des grands, des princes, des ducs, des évêques qui choisissent le futur élu dans telle ou telle grande famille, mais l’agrégation sous une seule couronne de tant de peuples et surtout de baronnies, de seigneuries, de villes libres, d’évêchés, ou même de royaumes entiers, va peu à
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