Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
européenne.
Le centre du commerce
Comme dans tous les bons livres, donc, on pourrait en rester là et passer au chapitre suivant. On aurait alors négligé un aspect des choses qui nous éloigne de la construction de l’histoire politique européenne, mais nous éclaire sur de lents mécanismes trop souvent occultés bien que essentiels.
Reprenons notre affaire sous un autre angle. Ce fameux traité de 843 est conclu à Verdun. La ville acquerra une célébrité internationale lors de la Première Guerre mondiale. En donnant son nom à la sinistre bataille de 1916, tombeau de 300 000 soldats, elle devient le symbole sanglant de la haine entre la France et l’Allemagne. De chaque côté du front, alors, la propagande ne cessera de raviver le souvenir du partage des temps carolingiens : ne prouvait-il pas l’ancienneté millénaire de la détestation entre les fils de Charles et ceux de Louis ? Aujourd’hui, on aurait plutôt tendance à faire jouer cet événement lointain à l’inverse : il nous rappelle les racines communes de notre histoire.
Rares sont ceux qui poussent plus loin leur curiosité : à part le fait qu’on y a conclu ce fameux « partage », que faisait-on donc à Verdun au ix e siècle ? Voilà où apparaissent nos surprises. L’endroit, on l’a dit, est situé au cœur même de l’Empire et aux confins des trois futurs royaumes, c’est pour cela qu’il convient à chacun des trois frères. C’est d’ailleurs de cette excellente position géographique que le lieu tire sa richesse : comme il est fort bien placé sur les voies de passage, il est un grand centre commercial où l’on achète et vend toutes sortes de denrées. Et surtout, ajoute-t-on parfois, on y trouve un « important marché d’esclaves ».
Vous avez bien lu. Verdun, ix e siècle, son traité, son commerce, sa traite des êtres humains. Voilà la découverte à laquelle on ne s’attendait pas : en plein chapitre traitant du haut Moyen Âge, on croise encore des marchés aux esclaves. Tous les spécialistes connaissent cette réalité, bien évidemment. Hormis eux, qui l’a en tête ?
Dans l’esprit commun, les fers, les chaînes, les gencives que l’on inspecte, les marchandages infâmes auxquels se livre l’acheteur pour une jambe trop courte ou un bras trop maigre, ce sont des images que l’on place spontanément à Rome au temps de Spartacus, à la Martinique au temps du Code noir de Louis XIV, en Virginie avant la guerre de Sécession. Qui les associe au temps de Charlemagne ?
En fait, lorsque l’on consulte les historiens de la période 1 , on comprend que ce système, florissant sous l’Antiquité, est finissant : les nobles, plutôt que d’avoir à entretenir ces cohortes de gens fort utiles au moment des récoltes mais très chers à l’entretien aux mortes saisons, préfèrent désormais « caser » les hommes, c’est-à-dire les attacher avec leur famille à une terre qu’ils cultivent contre du travail, des corvées. On voit poindre un autre système, qui cadre mieux avec l’idée que nous nous faisons du Moyen Âge : le servage. Les latinistes savent bien que le mot « serf » n’est jamais qu’un dérivé du mot servus – c’est-à-dire l’esclave – mais précisément, il n’en est qu’un dérivé.
À propos, quelle est la racine de ce mot d’ esclave ? La philologie est bonne pédagogue. Le mot nous conduit sur la voie où nous voulons aller. « Esclave », en français, comme son équivalent anglais slave, ne renvoie pas à une condition sociale, mais à un peuple : les Slaves. Cela remonte précisément à cette période. C’est alors là-bas, à l’Est de l’Europe, dans ces immenses terres encore païennes, au cours de campagnes de chasse à l’homme, que l’on va rafler cette marchandise de prix qui transite ensuite à travers l’Empire pour être revendue le plus souvent fort au sud : il s’agit en particulier, nous explique l’ Histoire des étrangers et de l’immigration en France 2 , de fournir les émirs de l’Espagne musulmane qui ont une grosse demande de ces grands blonds robustes. Souvent ce sont des marchands syriens ou juifs qui s’occupent de ce commerce – comme de beaucoup d’autres – parce que eux seuls connaissent assez les deux mondes pour voyager entre le Sud et le Nord et parce qu’ils possèdent un avantage devenu appréciable : ils ne sont pas chrétiens. À l’époque carolingienne, ces derniers sont
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