Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
médecins, meuniers, viticulteurs. Certains, appelés les radanites – peut-être, selon certaines étymologies, parce qu’ils voyagent sur le Rhône –, font le commerce avec l’Orient, comme leurs rivaux, les « Syriens », c’est-à-dire des Byzantins. Quand il veut entrer en contact avec le puissant calife Haroun al-Rachid, Charlemagne lui envoie à Bagdad un ambassadeur juif, Isaac, qui reviendra de son long périple avec l’incroyable cadeau du roi d’Orient au maître de l’Occident : un éléphant blanc. À Aix-la-Chapelle, il fera grande sensation. On a parlé des persécutions du temps de Dagobert, le Mérovingien. Seulement, à ce qu’on peut savoir, l’époque carolingienne qui lui succède reste un moment plutôt heureux de l’histoire du judaïsme européen. L’empereur était d’une brutalité inouïe quand il s’agissait de convertir les païens, mais il était ouvert aux gens du Livre. À Narbonne, des siècles plus tard, comme le font à la même époque les seigneurs chrétiens du lieu, les Juifs diront de leurs terres que c’est Charlemagne lui-même qui les leur avait léguées. Le fait est légendaire pour les uns comme pour les autres, mais la légende est significative. Le propre confesseur de Louis le Débonnaire, le fils de Charlemagne, un certain Bodo, se convertit au judaïsme et part en Espagne. Imagine-t-on à l’époque moderne le confesseur de Louis XIII ou de Louis XIV se convertir à la religion de Moïse ?
Les rapports intellectuels entre les deux grandes religions ne sont pas toujours aussi tendus qu’on pourrait le croire. Au xii e siècle encore, explique le médiéviste Dominique Barthélemy 3 , quand il veut traduire les psaumes de David, Étienne Harding, abbé de Cîteaux, fait appel à des savants juifs qui savent l’hébreux. Les Juifs participent à la vie économique du pays, et aussi à son élan intellectuel.
Notre rabbin de Troyes y a sa part plus qu’un autre. Le Talmud de Babylone, c’est-à-dire la codification écrite vers le v e siècle de ce qui était auparavant une loi orale transmise de maître à disciple, arrive en Occident vers le xi e siècle. Rachi le lit, l’étudie, l’explique, en fait des commentaires que l’on considère toujours d’une grande clarté et d’une admirable concision. L’homme était un bon pédagogue. Son idée était qu’il faut toujours donner au peuple la vérité d’un texte en le rendant limpide. Après sa mort, ses petits-fils puis leurs successeurs continueront son œuvre en ajoutant des commentaires à ses commentaires, ce qui leur vaut leur nom de Tossafistes (ceux qui ajoutent). Ce travail est essentiel à l’histoire religieuse, évidemment. Il éclaire également la langue française en général : Rachi parle en langue d’oïl – le futur français – et le transcrit en caractères hébraïques, ce qui donne des renseignements précieux sur la façon dont on le prononçait. Il concerne aussi la mémoire commune de notre pays et de notre continent. Elle est si souvent tronquée. On l’a vu encore avec les diverses polémiques qui ont suivi l’idée d’affirmer, dans les textes fondateurs de l’Union, les « racines chrétiennes de l’Europe ». L’Europe, comme la France, a des racines chrétiennes, pourquoi le nier ? Mais elle en a d’autres, certaines plus récentes, certaines bien plus anciennes. Le judaïsme en est une. À un moment donné de son histoire, le christianisme a tout fait pour l’éradiquer. Est-ce une raison pour l’oublier ?
1 « Points », Le Seuil, 1991.
2 Histoire des Juifs de France , « Points », Le Seuil, 1997.
3 Nouvelle Histoire de la France médiévale. L’Ordre seigneurial , « Points », Le Seuil, 1990.
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L’Église
au Moyen Âge
Comment ne pas en parler ? Haute et droite comme la Croix, vaste comme une cathédrale, l’Église est l’élément central du Moyen Âge européen, sa colonne vertébrale. Dans quel chapitre jusqu’ici ne l’avons-nous pas évoquée ? Il reste alors, sur le continent, quelques irréductibles à la foi du Christ : des communautés juives qui se rassemblent là où on les laisse en paix, on vient de le voir ; les musulmans d’Al Andalus, leurs royaumes d’Espagne ; et des païens très à l’est – la Lituanie est le dernier pays d’Europe à demeurer fidèle aux dieux anciens, et le sera jusqu’au tournant du xiv e et du xv e siècle. L’immense majorité des âmes est
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