Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
font ce qu’ils peuvent pour sauver des populations qui sont de leurs villes et de leurs villages depuis des siècles. L’empereur Henri IV signe des textes qui permettent aux Juifs de reprendre leur religion, car aucune conversion ne saurait être valide qui ait été imposée par la force. Au milieu du xii e , saint Bernard de Clairvaux, au moment des massacres déclenchés au début de la deuxième croisade, celle qu’il a prêchée lui-même, se met en colère : « Pourquoi tourner votre fureur contre les Juifs ? Ils sont l’image vivante de la passion du seigneur. » En d’autres termes, il ne s’agit pas d’aimer les Juifs puisqu’on sait qu’« ils » ont tué le Christ, mais c’est précisément parce qu’ils sont les témoins vivants de ce crime affreux qu’il ne faut pas les faire disparaître. C’est alors la position officielle de l’Église, elle est un peu alambiquée, c’est indéniable, mais elle a au moins un côté appréciable : elle pousse nombre d’ecclésiastiques à s’opposer aux exactions.
Pourtant, peu à peu, les autorités vont elles aussi déchaîner la haine. En 1182, Philippe Auguste avait déjà chassé les Juifs de ses terres, ce qui lui avait permis de leur voler leurs biens, mais il les avait rappelés en 1198, se rendant compte qu’ils lui rapportaient plus d’argent quand il pouvait les écraser d’impôts. Le contexte général du début du xiii e siècle tend les choses un peu plus. L’époque est à la lutte contre les hérésies, à l’idée d’une domination sans partage du christianisme. Au quatrième concile de Latran (en 1215), l’Église décide de faire porter aux Juifs des signes distinctifs, pour qu’on ne les confonde plus avec les chrétiens, ici ce sera un chapeau, là la couleur jaune, ailleurs un insigne représentant les tables de la Loi. Saint Louis, on l’a écrit déjà, impose la rouelle, une pièce ronde de tissu. C’est lui aussi qui organise le procès public du Talmud (en 1240), le grand livre de la foi. Il a ouï dire que ce texte comportait des offenses aux chrétiens, il convient donc de le juger. Courageusement, des rabbins vont le défendre. Leur cause était évidemment perdue d’avance. Le Talmud et bien d’autres manuscrits précieux sont brûlés publiquement en 1242. Et peu à peu la situation des hommes, des femmes, des familles qui vivaient dans le royaume depuis des temps immémoriaux se précarise. De plus en plus de métiers leur sont interdits. Philippe le Bel les expulse à nouveau d’un royaume devenu bien plus vaste qu’il n’était un siècle plus tôt. Plus de 100 000 personnes, dit-on, doivent fuir dans la douleur, les pleurs, l’effroi. C’est une catastrophe pour le pays, qui perd des forces vives, et pour les exilés qui sont chassés de terres où ils vivaient depuis des siècles. Louis X les rappelle, mais sous conditions et peu ont le courage de réaffronter des lieux devenus si inhospitaliers.
Le xiv e siècle qui s’ouvre est le pire. Il est celui de la Grande Peste, et dans ce contexte de panique les superstitions se déchaînent. Maintenant on accuse les Juifs d’empoisonner les puits : ils tuent bien les enfants à Pâques, pourquoi pas les pauvres paysans qui cherchent à boire ? Le pape essaie de démonter cette accusation en en montrant l’absurdité : pourquoi accuser les Juifs d’avoir propagé un mal dont ils meurent eux aussi ? Ses paroles portent peu. L’époque est sourde à tout argument, surtout les plus rationnels.
En 1394 enfin, sur ordre du roi Charles VI, les Juifs sont définitivement expulsés de ce qui est maintenant la France. Beaucoup iront se réfugier en Alsace, qui est une terre d’Empire, ou en Provence, qui l’est aussi. Hélas, la Provence devient française à la fin du xv e , il faut partir à nouveau. Certains trouveront refuge dans les États du pape, ces quelques communes autour d’Avignon. Les pontifes y protègent leur vie, mais quelle vie ? Des existences rendues misérables, dans les carrières, ces quartiers où nul n’a le droit d’entrer ou de sortir après la tombée du jour, et où presque tout leur est interdit.
L’enseignement du mépris
À bien des égards, c’est vrai, l’histoire du judaïsme médiéval en Europe est une sombre histoire. À l’époque, sur notre continent, seule la Pologne, dont les rois accueillent ceux que les croisés ont pourchassés, fait preuve de tolérance, et l’Espagne
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