Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
musulmane, bien sûr, qui se conforme à l’usage du monde islamique : les gens du Livre – Juifs et chrétiens – sont soumis à un régime d’impôt spécial, ils ne sont pas considérés comme des égaux des musulmans, ils sont soumis à certaines mesures discriminantes qui nous apparaissent aujourd’hui choquantes, mais au moins ils sont protégés. Partout ailleurs, et tout particulièrement en France et en Angleterre, la persécution est la règle.
On a évidemment raison de rappeler ce passé détestable. D’abord, il aide à comprendre les racines lointaines de l’antisémitisme, ce fléau du xx e siècle, même s’il est d’une structure différente : au Moyen Âge, l’obsession est religieuse, nul ne parle encore de « race » juive, comme le feront les nazis. Les rois, l’Église y ont leur part, dispensant ce que le grand historien Jules Isaac a appelé « l’enseignement du mépris », c’est-à-dire cette haine officialisée et sciemment répandue. Les enfants disparus, Guillaume de Norwich et Richard de Pontoise, ont été canonisés comme « martyrs des Juifs » peu après leur mort, et jusqu’au milieu du xx e siècle on trouvait tout naturel d’en célébrer le culte. Il faudra attendre le grand concile de Vatican II, c’est-à-dire le début des années 1960, pour que cette théologie soit enfin abandonnée.
Cette histoire est riche aussi pour ce qu’elle nous enseigne des rouages de toute forme de racisme. Prenons la figure classique du Juif usurier, ce Juif qui « par sa race » aurait forcément un goût immodéré et une connaissance particulière de l’or, de l’argent. Léon Poliakov, dans son Histoire de l’antisémitisme 1 , le grand livre classique sur la question, explique comment on en est arrivé là. De nombreux Juifs, à un moment donné de l’histoire, sont devenus prêteurs pour une raison fort simple : tous les autres métiers leur avaient été interdits les uns après les autres. Il explique aussi que, contrairement à ce que croient les gens qui ne l’ont pas étudié, le judaïsme était tout aussi opposé à l’usure que le christianisme ou l’islam. Mais comment condamner un métier quand il est devenu une nécessité vitale ? Les rabbins n’ont jamais accepté l’usure. Ils s’y sont résolus, nuance. On peut expliquer de la même façon la figure du « Juif errant », ce sans-patrie éternel, incapable de se fixer : bien sûr, les Juifs du Moyen Âge l’étaient. Et le moyen de ne pas l’être ? On les chassait par la force de partout ! On a compris la logique, c’est la vieille loi du proverbe : qui veut noyer son chien l’accuse de la rage.
Une autre face de l’histoire du judaïsme d’Europe
La force et l’intérêt de notre ami Rachi et de son vignoble est de nous rappeler qu’il existe un autre visage du judaïsme médiéval. L’histoire en est précaire, au regard de ce qui suivit, et Rachi en est un symbole parfait, lui qui vécut à une période de basculement. Il est l’exact contemporain des massacres liés à la première croisade, et il en a été meurtri personnellement : il connaît bien les Juifs rhénans, c’est chez eux qu’il a fait ses études théologiques. Seulement son existence même nous rappelle qu’il y a une autre façon de raconter les choses. « On ne peut résumer l’histoire du peuple juif à la persécution », écrit fort justement Esther Benbassa, historienne du judaïsme français qui en a écrit la meilleure synthèse 2 . Il connut au long des siècles des moments de répit, des moments heureux, des périodes florissantes. L’histoire même de la persécution ne vient-elle pas nous dire qu’il y en eut, auparavant, ou à côté, une autre ? Si le concile de Latran veut distinguer les Juifs, les obliger à se mettre à part, c’est bien que jusqu’alors rien ne permettait de les reconnaître et que, dans bien des endroits, Juifs et chrétiens vivaient ensemble. Si, à un moment donné, on leur autorise seulement l’usure (ou ailleurs le commerce de vieux vêtements, ou le commerce de chevaux), c’est bien que jusque-là les Juifs pratiquaient tous les métiers possibles, etc.
Des Juifs ont vécu sur le territoire qui est aujourd’hui la France depuis la colonisation romaine, à peu près, et comme tous les citoyens romains ils circulaient dans l’Empire. Depuis le haut Moyen Âge, on trouve des Juifs dans les professions les plus diverses : maraîchers,
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