Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
Désormais, plus aucun chrétien n’aura le droit de professer ces horreurs forcément inspirées par le diable. Ce texte est très connu, et très souvent cité, on y voit un exemple patent de l’intolérance du catholicisme médiéval. Elle est indiscutable. Pourquoi, pour une fois, ne pas renverser le propos ? L’historien Didier Foucault dans son excellente Histoire du libertinage 2 nous met sur cette piste. Si l’évêque condamne des pensées à ses yeux abominables, c’est bien que certains les professaient. Quelles sont-elles donc ? Citons quelques-unes des horreurs qu’il dénonce : « La religion chrétienne empêche de s’instruire », « Seuls les philosophes sont les sages du monde », « Il n’y a aucune question disputable par la raison que le philosophe ne doive disputer ». Incroyable ! On croirait des phrases sorties de la plume de Voltaire ou Diderot. Grâce à celui qui les a interdites en 1277, on tient donc la preuve irréfutable que déjà, dans ce xiii e siècle passionnant, certains osaient les penser.
Le grand schisme d’Occident
Projetons-nous d’un siècle encore pour mentionner un dernier point que l’on aborde rarement sous cet angle : l’affaire du grand schisme d’Occident. Nous voilà loin de la théologie. D’ailleurs, le vent de liberté que l’on vient d’évoquer pour le xiii e siècle est bien mort au xiv e . Ce siècle est celui de la guerre de Cent Ans, de la Grande Peste, ce fléau monstrueux qui a emporté, estime-t-on, le quart de la population d’Europe. On n’a plus que faire d’Aristote et des philosophes. L’époque est au dolorisme, aux processions de flagellants qui veulent revivre dans le sang la passion du Christ, aux statues macabres rongées de vermine qu’on place sur les tombeaux. Et le temps est pris à d’autres vieilles occupations plus terrestres, la rivalité entre les papes et les rois.
On s’en souvient, l’affaire se noue sous Philippe le Bel. Après avoir réglé son compte à un pontife, mort traumatisé après la rencontre musclée avec son ambassadeur à Agnani, le roi de France, devenu le plus grand monarque d’Occident, trouve commode d’avoir la papauté sous la main. En 1309, un premier pape, évêque de Bordeaux, s’installe de façon temporaire aux portes du royaume de France, à Avignon. Le temporaire durera longtemps. Je vous épargne les détails des alliances, contre-alliances, magouilles financières et assassinats qui représentaient l’idéal évangélique de ces temps-là. Rappelons simplement que la pièce vire à la tragi-comédie en 1377-1378. Le pape décide de rentrer à Rome. Il meurt. Un nouveau pape est élu dans la Ville Éternelle ; manque de chance, un autre a déjà été élu qui s’est installé à Avignon. Deux tiares pour un seul trône, cela fait une de trop : c’est le « grand schisme d’Occident ». Là encore les péripéties sont nombreuses, à un moment on verra même trois papes, c’est-à-dire deux « antipapes » et un vrai. Qui peut dire lequel ? C’est là où se glisse une innovation théologique peu connue et assez passionnante, pourtant : le conciliarisme.
Elle est simple à résumer. En 1414, lassés par le schisme, certains puissants (en l’occurrence un des papes et l’empereur) ont l’idée de réunir à Constance un grand concile, c’est-à-dire une réunion de tous les évêques, pour sortir de la crise. Effectivement, l’assemblée met fin au schisme et désigne un pape. Elle émet aussi une doctrine : c’est de la réunion de tous les évêques que doit désormais sortir la vérité de la foi, et cette réunion a une autorité supérieure au pape lui-même. Tout cela sera peaufiné, codifié lors des conciles suivants, à Bâle et dans d’autres villes (1431-1449). Par des astuces diverses, les papes auront raison des décisions qui y ont été prises. Ils continueront à dominer l’histoire du catholicisme. Son cours aurait-il été changé si la tentative d’instaurer une forme de pluralisme dans cet univers autocratique avait réussi ? Risquons-nous à le penser.
1 « Où est la très sage Hélois, / Pour qui chastré fut et puis moyne / Pierre Esbaillart à Saint Denis ? / Pour son amour eut ceste essoyne. »
2 Perrin, 2007.
12
La guerre
de Cent Ans
Philippe le Bel meurt en 1314. Après lui règnent successivement ses trois fils, et tout d’abord. Louis X dit le Hutin – c’est-à-dire le querelleur – de 1314
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