Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
moquer de l’inculture des masses. Bien des grands historiens font assaut d’un patriotisme aussi réducteur et aussi anachronique 2 : on ne se défait pas si facilement des saints préceptes appris dans son jeune âge.
Aussi reprenons tout cela à la base pour tenter un exercice qui n’est pas si fréquent : ne peut-on enfin essayer de relire cette fameuse guerre de Cent Ans autrement , c’est-à-dire sans aucun des clichés cocardiers dans lesquels on l’enferme ? Prévenons tout de suite les nationalistes sourcilleux, cette manière de procéder risque de nous entraîner vers des conclusions qui leur causeront de vives émotions.
N’allons toutefois pas trop vite. Tâchons d’abord de rappeler les fondements de cette histoire de la façon la plus traditionnelle, c’est-à-dire comme on la raconte dans la plupart des manuels, en ne la considérant que du côté français et en s’appuyant sur les règnes successifs des rois Valois, et sur les batailles qu’ils livrèrent. Cela permet déjà un récit varié, mais pas tant : les monarques qui se succèdent sont inégaux. Il en est de très incompétents (comme Philippe VI ou son successeur Jean le Bon), d’autres qui sont de remarquables hommes d’État (comme Charles V, fils de Jean le Bon). Les batailles, elles, sont plus faciles à suivre vues de notre côté de la Manche : elles sont presque toujours des défaites.
Premier épisode
Nous sommes donc à la fin des années 1330. Nous retrouvons Édouard III, qui vient de débarquer sur le continent, en Flandre précisément – c’est-à-dire dans un comté dépendant de la couronne de France –, pour faire valoir ce qu’il estime être ses droits face à un Philippe de Valois traité d’usurpateur. Manque de chance pour ce dernier, le Plantagenêt est un des plus grands chefs militaires de son temps. En 1340, toute la flotte française est détruite lors de la bataille de l’Écluse, près de Bruges, il est donc maître de la mer. En 1346, à Crécy (dans la Somme), ses fantassins armés d’arcs font leur premier miracle : ils administrent une défaite cuisante à l’orgueilleuse chevalerie française. En 1347, Édouard met le siège devant Calais. L’épisode est resté dans les mémoires à cause des fameux « bourgeois ». Il fallait bien trouver quelques Français faisant preuve d’héroïsme au milieu de tant de catastrophes. Après de longs mois d’encerclement, la ville est affamée, épuisée. Six notables, en chemise et la corde au cou, n’hésitent pas à venir offrir leur propre tête à leur vainqueur en échange de la vie sauve garantie aux assiégés. Miracle, Philippa de Hainaut, la reine au grand cœur, obtient leur grâce. Édouard la lui laisse volontiers, il a ce qu’il voulait : avec ce port important, il possède désormais une tête de pont sur la rive continentale de la Manche. Calais restera anglaise jusqu’au milieu du xvi e siècle.
1350, mort de Philippe de Valois, arrivée de Jean II le Bon. 1356, bataille de Poitiers, nouvelle défaite. Elle est infligée cette fois par un autre grand chef de guerre anglais, le fils d’Édouard III, à qui son père, pour faire son éducation royale, a confié la riche province anglaise d’Aquitaine. Sa cruauté, son caractère impitoyable, sa capacité à ravager toute une région pour arriver à l’objectif militaire qui l’intéresse à ce moment-là, et aussi la couleur de l’armure qu’il aimait à porter, lui valurent bien plus tard le surnom terrible sous lequel il est resté connu dans l’histoire : le Prince Noir.
En 1356, à Poitiers, le Prince Noir inflige une gifle sanglante à la nombreuse armée du roi Valois. Là encore, les manuels français ont réussi à sauver la mise en mettant en valeur, dans cette débâcle, une petite parenthèse d’héroïsme chevaleresque : alors que Jean le Bon est assailli de partout, son jeune fils, le prince Philippe, se place derrière son roi et l’aide à prévenir les coups en lui criant : « Père gardez-vous à droite, père gardez-vous à gauche ! » Tout le monde a cette phrase en tête, elle vient de là et vaudra à Philippe de passer à la postérité sous le surnom qu’il vient de gagner, « Philippe le Hardi ». Hélas l’amour filial, à la guerre, ne suffit pas. Poitiers est un désastre. Avec des dizaines d’autres hauts personnages, le roi en personne est fait prisonnier et emmené à Londres.
La situation est
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