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Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises

Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises

Titel: Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Reynaert
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amoureux d’une jeune femme de quinze ans sa cadette, dont le nom sonne aussi familièrement à nos oreilles quand on l’associe au sien : Héloïse, « la très sage Heloïs », que chantera le poète François Villon trois cents ans plus tard 1 . La belle a un tuteur, le chanoine Fulbert. L’imprudent accepte de prendre le beau clerc en pension chez lui, contre des leçons particulières données à la pupille. L’enseignement a ses mystères. Quelques semaines plus tard, la jeune fille tombe enceinte et s’enfuit avec son maître pour aller se marier en secret. Le chanoine est fou de rage, et peut-être de jalousie, l’histoire ne le dit pas clairement. Il ourdit contre le suborneur une vengeance abominable : par une sombre nuit, il envoie chez Abélard deux hommes de main chargés de le châtier par où il a péché. Ils le châtrent. Héloïse se fait nonne mais son amour ne se refroidira jamais : elle envoie à son pauvre époux des lettres brûlantes qui apparaissent aujourd’hui encore comme un sommet de l’amour charnel. Les réponses sont froides et distantes, le mari est affligé de « l’histoire de ses malheurs » (c’est le titre de ses Mémoires) et de cette honte qu’il n’arrivera jamais à surpasser. Cela peut s’entendre : près de neuf cents ans plus tard, on le connaît toujours pour cette amputation navrante et chacun a oublié ce qui l’avait rendu fameux en son temps.
    L’homme, un des maîtres théologiens de la jeune université de Paris, était un des plus beaux esprits de son siècle, et un des plus indépendants. Il enseignait des choses incroyables, par exemple que l’on peut juger des actes non seulement par eux-mêmes, mais encore en leur appliquant une morale de l’intention : quelle force a poussé tel homme à commettre pareille chose ? Ne peut-elle donner un autre sens au geste lui-même ?

    Il aimait considérer les textes des Pères de l’Église les uns après les autres pour en faire éclater les contradictions. Non pour montrer qu’ils disaient n’importe quoi, mais pour chercher à mieux faire ressortir l’intention de Dieu dans sa complexité. En bref, il aimait réfléchir et apprendre à ses élèves à penser. C’était audacieux. Surtout quand on croise sur sa route un ennemi aussi redoutable et haineux que Bernard de Clairvaux, le futur grand saint dont nous avons parlé plus haut. On peut être grand aux yeux de Rome et petit quand il s’agit de faire appliquer ses lois. Bernard qui, à Vézelay, a prêché la deuxième croisade avec un immense succès, Bernard qui fait la morale par ses lettres à tous les rois d’Europe est aussi, à ses heures, une diva jalouse. Il s’agace d’un clerc dont il lui revient aux oreilles qu’il développe des thèses bien hardies. Abélard, de façon loyale, demande à pouvoir s’expliquer en réunion publique pour discuter avec le futur saint, et montrer à tous que les positions qu’il défend ne sont pas les brûlots que l’on dit. Le 3 juin 1140 est réuni le concile de Sens qui doit examiner cette question. Mais le perfide Bernard, craignant d’être dépassé par le trop brillant esprit d’Abélard, a préparé le terrain. Il s’est entendu dès la veille avec tous les grands personnages présents et les évêques pour sceller le sort de l’accusé avant même le procès. Le jour dit, Abélard se retrouve interdit de stupeur en découvrant une telle ignominie et ses thèses sont condamnées sans qu’il ait pu ouvrir la bouche.
    Le grand Michelet et derrière lui les historiens républicains du xix e révèrent la mémoire de celui qu’ils voyaient comme un martyr de l’obscurantisme, et le célèbrent d’autant plus que cela leur permet, au passage, de tacler saint Bernard, le héros du camp adverse. Il ne faudrait pas pour autant faire de notre théologien un héraut de l’anticléricalisme. Il est homme d’Église et le reste. Après Sens, que fait-il ? Il décide de partir à Rome pour plaider sa cause car il sait que le pape, lui, l’entendra. En chemin, il est recueilli chez le vieil ennemi de Bernard et des Cisterciens, Pierre le Vénérable, patron de l’abbaye de Cluny. Épuisé par tant d’infortune, il y mourra sans achever son périple. Quoi qu’il en soit, le premier il aura prouvé que l’on pouvait tenter d’introduire de la logique et de la raison dans l’étude théologique. Ce faisant, il a ouvert une brèche qui conduit à notre deuxième exemple.

    La

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