Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
moins côté français : quand ils doivent combattre, Philippe VI ou son fils Jean le Bon sont contraints de convoquer l’ost, cette lourde armée féodale composée de leurs vassaux.
Cent vingt ans plus tard, les temps ont bien changé. L’aristocratie anglaise et ses rois parlent anglais. Tous les échanges préparatoires aux différents traités de la fin de la guerre, nous disent les historiens, doivent se faire en latin, parce que c’est désormais la seule langue commune aux deux camps. Et ce fossé linguistique est très représentatif de l’écart culturel qui n’a eu de cesse de s’élargir entre les deux peuples. On notera par exemple que c’est de l’époque de la guerre de Cent Ans, vers la deuxième moitié du xiv e siècle, que date une des premières grandes œuvres écrites en langue anglaise : les fameux Contes de Canterbury , de Chaucer, considéré à ce titre comme le père de la littérature anglaise à proprement parler.
Les combats ne se font plus non plus de la même manière. À la suite des défaites successives que les archers gallois ont infligées à l’inefficace noblesse à cheval, on commence à comprendre que le temps de la chevalerie, où l’on faisait la guerre comme au tournoi, n’est plus. Charles VII, au milieu du xv e siècle, obtiendra ses dernières victoires, en Normandie ou en Guyenne, avec des armes nouvelles, très efficaces pour débander les fantassins qui vous font face : les bombardes mobiles. Elles préfigurent la puissance à venir de l’artillerie. Et, pour remplacer l’ost si long à se mettre en branle, ce roi novateur décide de fonder une armée permanente qui soit toujours à la disposition des souverains.
Enfin, la géographie a changé : à la fin de la guerre de Cent Ans, les Anglais, mis à part le petit territoire autour de Calais, ne possèdent plus aucune des vastes provinces qu’ils détenaient sur le continent depuis des siècles. Les vieux rêves de l’« empire Plantagenêt » sont morts. Leur culture nationale devra prendre la forme d’une île. Et de notre côté de la Manche, même si les appartenances de classe, de province, de village sont encore déterminantes, même si l’immense majorité des habitants du royaume parle toujours des langues et des dialectes divers, les sujets de Charles VII prennent peu à peu conscience eux aussi d’une identité nouvelle qui a été fouettée par les harangues inspirées d’une petite bergère lorraine, et vivifiée par les victoires de leur roi : peu à peu, ils commencent à se sentir français.
Oui, à la fin de la guerre de Cent Ans, parler de France ou d’Angleterre, cela commence à avoir un sens : les nations – ce principe qui sera déterminant dans l’histoire de l’Europe pour les cinq siècles à venir – commencent à exister. C’est indéniable. Faut-il pour autant forcer le trait comme on le fait encore lorsqu’on évoque cette période dans tant de livres ? Là encore, que d’excès dans la reconstruction de cette histoire telle qu’elle a été modelée ultérieurement, que d’absurdité dans la mythologie qui nous en est restée !
Songeons à la représentation que nous avons toujours de ce long conflit médiéval, ou, tout au moins, de l’épisode de ce feuilleton qui est resté le plus prégnant dans la mémoire collective : l’intervention de Jeanne d’Arc. Ne cherchons pas à retrouver les faits pour l’instant, nous le ferons tout à l’heure. Contentons-nous au contraire de pêcher les quelques souvenirs qu’ils ont laissés dans la plupart des têtes. Voyons, qui était donc cette si célèbre Pucelle ? Ah oui ! Une héroïque petite bergère lorraine qui a sauvé notre pauvre pays en « boutant les Anglais » hors de la France qu’ils « occupaient » et en poussant « notre roi », Charles VII, à se faire sacrer à Reims, avant d’être brûlée à Rouen, sur ordre d’un tribunal dirigé par un traître au service des occupants, cet homme au nom prédestiné pour être la risée des classes primaires : l’évêque Cauchon. En gros, il suffit de coller le chapeau à larges bords de Jean Moulin sur la sainte tête de Jeanne, de déguiser Cauchon en Pierre Laval, et d’enfiler des uniformes vert-de-gris sur les armures des soldats anglais pour comprendre ce qu’est la guerre de Cent Ans dans la plupart des esprits : la Seconde Guerre mondiale en version Moyen Âge.
Ne croyez pas que je cherche par là à me
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