Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
collecteur au service du fisc. En revanche, l’impôt peut aussi jouer un rôle politique et aider à faire basculer le cours de l’histoire. Si, vers la fin de la guerre, dans la première moitié du xv e siècle, d’innombrables révoltes éclatent dans la Normandie conquise par Henri V, si les soldats de Charles VII y sont accueillis en libérateurs, ce n’est pas par patriotisme, c’est parce qu’on ne supportait plus l’insoutenable pression fiscale exercée par les Anglais.
La Normandie, la Guyenne, berceaux des rois d’Angleterre
Comment en serait-il autrement ? Par quel étrange miracle, hors ces questions très concrètes d’impôts, un Normand du xv e siècle se sentirait-il plus attaché à un Valois qu’à un Plantagenêt ? En tout cas, du point de vue des Plantagenêts eux-mêmes, les choses étaient claires : la Normandie n’était pas une « terre française », ou tout au moins une terre revenant de droit au souverain régnant à Paris, elle était le berceau de leur famille. N’oublions pas qu’ils descendaient de Guillaume le Conquérant. En entrant dans Rouen (après un siège atroce), Henri V, dit-on, fit pavoiser la ville : il entendait ainsi montrer la joie qu’il avait de se retrouver enfin chez lui, sur la terre de ses ancêtres. Était-ce pure propagande ? La plupart des manuels anglais soulignent cet épisode, et leurs équivalents français, curieusement, l’oublient. N’entrons pas dans la querelle. Contentons-nous de souligner ce point : oui, à la fin de cette interminable guerre, la conscience que l’on est français ou anglais entre dans les esprits, seulement la France et l’Angleterre n’ont pas grand-chose à voir avec les pays que nous connaissons aujourd’hui et les disparités entre les régions sont immenses.
La Flandre, par exemple (c’est-à-dire le Nord actuel de la France, plus une partie de la Belgique et des Pays-Bas), est vassale du roi de France. En général, le comte, la noblesse, lui sont fidèles. La bourgeoisie et le peuple, jamais : ils préféreront toujours les alliances nouées de l’autre côté de la Manche. Au plat pays, on vit du drap, on dépend donc de la laine que les moutons anglais donnent en abondance. Les rois d’Angleterre joueront souvent de cette carte. Édouard III ira jusqu’à menacer la Flandre de blocus commercial, ce qui causerait sa ruine. Lorsqu’il débarque pour affirmer ses prétentions sur le trône français, les villes riches le soutiennent. Durant le xiv e siècle, quand apparaissent dans la région les troupes des rois capétiens, on les regarde avec haine : elles viennent toujours pour écraser dans le sang les révoltes levées contre leur domination.
La Bretagne, elle, reste un duché indépendant. Contrairement à la Flandre, le peuple y suit les choix du prince. Seulement les princes varient beaucoup. On ne se risquera pas à tenter de résumer la politique fluctuante des ducs de Bretagne, hésitant sans cesse entre France et Angleterre, quand ils n’ont pas à se protéger des manœuvres de l’une et de l’autre pour placer leurs pions et leurs héritiers sur le trône. Notons simplement ce détail. Pour les Français, le plus célèbre Breton de la période s’appelle Bertrand Du Guesclin. Il est fils d’un petit seigneur des Côtes-d’Armor. Sa bravoure, ses qualités de soldat et sa loyauté envers le sage Charles V en ont fait, dans tous les livres français, un héros de légende. Cette noble fidélité à un roi n’est pas évidente pour tout le monde. Il n’y a pas si longtemps encore, les nationalistes bretons un peu sourcilleux appelaient bien autrement celui qui avait choisi de servir un roi étranger : « le traître ».
Que dire enfin de la Guyenne ? On l’a vu, les limites de cette province dont le centre correspond à peu près à l’actuel département de la Gironde ont varié au cours du temps, au fil des victoires d’un camp ou de l’autre. Son cœur jamais : il a toujours battu pour sa seule patrie, l’Angleterre. Le fait peut nous sembler étonnant. Il ne l’était pas à l’époque. La Guyenne appartient au domaine des Plantagenêts depuis 1152, cela fait près de deux siècles au début du conflit. Toute son économie, et surtout le commerce des vins, est tournée vers les ports anglais. La mer qui baigne ses côtes nous semble aujourd’hui une sorte de frontière naturelle. Elle était hier un trait d’union tout aussi naturel.
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