Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
vainqueur d’Azincourt : tout autant que Jeanne d’Arc, il prétendait agir au seul nom de Dieu et son fanatisme religieux n’était pas moins grand.
Glissons aussi rapidement sur le thème de l’« occupation anglaise » de la France : elle fait venir des images de Seconde Guerre mondiale, on imagine des barrages militaires sur toutes les routes, des troupes nombreuses tenant tous les endroits stratégiques et des kommandanturs pléthoriques en version britannique pour administrer les villes soumises. Pure vue de l’esprit. Selon les comptes précis effectués par quelques historiens pointilleux 1 , les soldats anglais dans le Paris du régent Bedford, c’est-à-dire précisément le Paris « anglais » des années 1420-1430, étaient, tout au plus, une trentaine…
À dire vrai, c’est la vision traditionnelle tout entière qu’il est peut-être sage de remettre en question. Biaisée comme toujours par le savant travail opéré après coup par le vainqueur, en l’occurrence Charles VII, elle pose les choses de façon simple et binaire : deux camps s’opposaient, l’un était celui de la France, l’autre celui de l’étranger. Ça, c’était vrai en 1940. Ça ne l’était pas forcément en 1420. On peut présenter les mêmes événements tout à fait autrement : après des décennies de guerre civile, sur le territoire qui est aujourd’hui la France, s’opposaient deux grandes factions, tout aussi françaises l’une que l’autre. L’une d’entre elles – Isabeau, la famille royale, et leurs alliés bourguignons –, pour se sortir d’une situation inextricable (l’impossible réconciliation avec des Armagnacs belliqueux et fanatisés) et pour en finir avec une guerre interminable, choisit une voix d’apaisement : une alliance raisonnée avec le roi d’Angleterre, si bien disposé à la paix qu’il acceptait d’épouser la fille de Charles VI, le roi de France qui était censé, hier encore, être son ennemi.
Une large partie de la population française, avant de virer de bord, défendit farouchement ce camp-là. Le traité de Troyes, formalisant l’alliance anglaise, est présenté depuis le xix e siècle comme le « honteux traité de Troyes ». En son temps, il fut dûment ratifié par les États généraux du royaume, qui en représentaient les sujets. Quelques années plus tard, Paris, très liée au camp bourguignon, applaudit chaleureusement à l’annonce du procès de Jeanne d’Arc et de sa condamnation. On la considérait alors comme une illuminée au service d’un roi faible dont le triomphe mènerait forcément le pays à la ruine. De l’avis général, le régent Bedford, gouvernant la France après la mort prématurée de son frère Henri V, sut se faire apprécier. Pour faire pièce au sacre de Charles VII à Reims, il organisa dans une cathédrale Notre-Dame de Paris pleine à craquer le sacre de son roi de France à lui, en présence d’innombrables sommités non moins françaises que celles qui se tenaient à la cérémonie champenoise : celui du petit Henri VI, parfois nommé Henri II au regard de la succession française. L’histoire lui aurait-elle accordé la victoire, c’est sans doute cette cérémonie-là dont on apprendrait le détail aux écoliers émus.
Quelle horreur, direz-vous enfin, quelle thèse absurde : le triomphe d’Henri VI contre Charles VII aurait signifié que la France devenait anglaise ! Pas du tout. Elle aurait signifié l’avènement d’une « double monarchie », un même souverain assis sur les deux trônes, c’est ce qui était prévu. Et après ? Aurait-ce été une catastrophe ? En France, on vient de l’écrire, nombreux étaient les partisans de cette solution. Assez étonnamment, c’est en Angleterre qu’ils étaient plus rares. Les grands opposants au traité de Troyes et à ce qu’il impliquait se comptèrent surtout au Parlement de Londres, et parmi les grands de ce côté-là de la Manche. Leur raisonnement était simple. L’Angleterre était bien moins vaste, bien moins riche, bien moins peuplée que la France. En devenant souverain à la fois des deux pays, le roi finirait bien vite par s’occuper uniquement du gros pour délaisser le petit. En outre, le choix même de ce prince-là ne leur plaisait guère : quelle confiance accorder à ce petit Henri, élevé en France par une mère princesse française ? Il leur paraissait évident qu’un tel individu n’aurait de cesse de
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