Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
chercher à les franciser. Avaient-ils tort ? Sans doute pas.
Si Jeanne d’Arc n’avait pas été là, entend-on parfois, nous serions devenus anglais, nous parlerions leur langue, nous roulerions à gauche. Erreur, sans Jeanne d’Arc, le contraire aurait pu se produire : les Anglais se seraient remis à parler le français et ils rouleraient à droite. La France n’aurait pas été perdue. Elle aurait été doublée.
Il n’en a pas été ainsi. L’histoire favorisa le roi de Reims contre celui de Notre-Dame. Après les victoires de ses ennemis et surtout le renversement d’alliances bourguignon, le pauvre Henri VI dut se résoudre à oublier son pays de naissance pour s’installer à Londres. Il garda de ses racines françaises un souvenir dont son nouveau peuple se serait bien passé : comme son grand-père Charles VI, il était fou. On dit qu’il ressentit les premiers accès de son mal après l’annonce de Castillon, la bataille qui signa sa défaite et la victoire définitive de son oncle Charles VII. Les aventures outre-mer étaient terminées, les Anglais avaient d’autres chats à fouetter : comme la France avant elle, leur pays sombra dans une terrible guerre civile entre deux factions ennemies, la « guerre des Deux Roses ». Leurs rois gardèrent longtemps le souvenir nostalgique du trône qu’ils avaient perdu. La fleur de lis orna leur bannière pendant des siècles, comme l’appellation orgueilleuse de « roi de France et d’Angleterre » ornait leur titulature. Ils n’acceptèrent d’abandonner l’une et l’autre qu’en 1801.
1 Jean Favier, par exemple.
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Jeanne d’Arc
et les femmes de son temps
Cela ne souffre aucun doute, on l’a vue passer bien trop vite. Peut-on concevoir une histoire de France qui ne s’attarde pas, durant quelques pages au moins, sur celle qui en est le personnage féminin le plus fameux ? Précisément, voilà bien un point dont on étudie trop peu les conséquences. Tout le monde sait combien Jeanne d’Arc est célèbre. Qui se demande quels dégâts peut produire cette célébrité ?
N’allons pas trop vite et reprenons l’histoire de notre Lorraine sous l’angle où nous l’avions laissée : l’incroyable disproportion entre la brièveté de son existence et l’étendue de sa gloire posthume.
Fille de paysans aisés, elle naît à Domrémy, en 1412 environ, aux marches de la Lorraine, dans une région favorable au roi de France. À douze ans, elle entend des voix : sainte Marguerite, sainte Catherine et l’archange saint Michel commencent à lui parler, bientôt ils lui intimeront l’ordre de bouter les Anglais hors du royaume et d’aller au secours de celui qu’elle considère comme le seul roi de France légitime, le dauphin Charles. À seize ans, elle se rend jusqu’à Vaucouleurs, la petite place profrançaise la plus proche de chez elle pour demander qu’on la laisse rejoindre la Cour. Baudricourt, le capitaine, la tient pour folle et la chasse. Un an plus tard elle revient. Sur l’injonction de la population, séduite par cette étrange prophétesse qui semble si pure et si sincère, Baudricourt cède et lui donne une escorte : pour plus de sécurité, dit la chronique, Jeanne revêt des habits d’homme. La voici, en armure et en majesté, sur les chemins de son destin. Nous sommes en 1429. En février, elle est introduite à Chinon, où, du premier regard, elle reconnaît son « gentil dauphin » sans l’avoir jamais vu, alors qu’il s’est caché parmi la foule de ses courtisans. Doutes, examen par des matrones qui vérifient sa virginité ; interrogatoire serré par un tribunal ecclésiastique qui confirme qu’elle n’est pas une sorcière. En mai, toujours vêtue de son éclatante armure, montée sur un fier destrier, la pucelle en travesti peut conquérir son premier titre de gloire. Par sa fougue, par ses harangues, elle redonne tant d’énergie à la population d’Orléans que la ville réussit à obliger les Anglais à lever leur siège. Victoires diverses, marche sur Reims pour ouvrir la route à l’armée royale : 17 juillet, c’est l’apothéose, elle est au premier rang derrière son gentil Charles, sacré roi de France. Le clocher de sa gloire sonne aussi, déjà, l’heure du retournement.
Repères
– 1412 : naissance à Domrémy, en Lorraine
– 1429 : présentée au dauphin à Chinon ; participe à la levée du siège d’Orléans ; assiste au sacre de Charles VII
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