Nos ancêtres les Gaulois et autres fadaises
fin du « rêve bourguignon ».
Les choses auraient-elles pu tourner autrement ? Avec un Charles un peu moins fanfaron qui se serait gardé d’aller mourir bêtement devant Nancy et un Louis moins habile au jeu des alliances, la Bourgogne aurait-elle réussi son coup ? La France vivrait-elle aujourd’hui à côté de ce grand pays tout en longueur qui irait de Lyon à la mer du Nord et la séparerait de l’Allemagne ? Il est toujours trop facile ou trop difficile de remonter autrement le film des faits. On peut remarquer toutefois que la plupart des livres français le présentent avec une pointe à peine cachée de soulagement. Il est vrai que pour notre histoire, cet État bourguignon avait un grand défaut : il se serait bâti, pour partie au moins, au détriment de notre pays, il aurait été constitué de provinces qui sont naturellement les nôtres comme la Bourgogne, précisément. Voilà en tout cas ce que chaque Français a dans la tête, voilà ce que quelques siècles de construction nationale y ont mis : essayons donc maintenant d’interroger cette certitude.
Comment se constitue un royaume
Louis XI est, pour le faire, le roi idéal. Il est toujours aimé des historiens français, écrivions-nous, car il est un des souverains qui ont le plus agrandi le royaume. Il ne s’embarrassait pas toujours de morale pour parvenir à ses fins : on vient de le voir avec cette confiscation brutale des provinces appartenant à l’orpheline du Téméraire. Parfois aussi, il a attendu que les héritages lui arrivent de façon plus naturelle : ainsi celui de la famille d’Anjou, dont le dernier représentant, celui que l’on appelle le « roi René », lui a très officiellement légué le Maine, l’Anjou (par ailleurs déjà occupé par les troupes du roi, passons), mais aussi la Provence, qui était jusqu’alors terre d’Empire. Encore, il a su prendre la Cerdagne, dans le Nord de l’Espagne, ou le Roussillon – qui seront perdus juste après lui. Peu importe : Louis est donc un bon roi puisqu’il a « fait la France », comme d’autres à peu près à la même époque « faisaient le Royaume-Uni », ou « faisaient l’Espagne ».
Voici en effet comment peu à peu se sont constitués les pays d’Europe dans lesquels nous vivons : par cette sorte de Monopoly que l’on a déjà souvent vu à l’œuvre. On se bat avec les voisins, on conquiert, on achète, ou on tire une carte du pot qui est placé au milieu de la table de jeu : « Le roi René est mort sans descendance, il vous lègue l’Anjou. » Il faut pour réussir à ce jeu de l’habileté, de la force, souvent aussi de la chance. Les livres d’histoire racontent d’ailleurs toujours ces affaires avec moult détails, sans cacher les tricheries ou les ruses de tel ou tel roi pour obtenir telle province, on vient de le voir avec Louis. L’amusant est que, dans le même temps, les manuels nous vendent toujours ce mercato comme étant mû par une sorte de force qui dépasse le cours de l’histoire, et s’impose à lui puisqu’il aboutit nécessairement à ce que notre Hexagone prenne peu à peu la forme qu’on lui connaît, c’est-à-dire sa forme naturelle . Profitons donc de ce chapitre pour remettre un peu de prosaïsme dans cette digne poésie. Non, la formation territoriale de la France, comme celle des autres nations, ne doit rien à la nature, elle doit beaucoup à la force, au hasard et parfois aussi aux expédients les plus surréalistes.
Oublions, pour illustrer le propos, le règne précis de Louis XI. Élargissons un peu la chronologie pour puiser dans cette fin de Moyen Âge quelques exemples parlants.
Le Dauphiné
On a déjà parlé de l’acquisition du Dauphiné, au début du xiv e siècle. On a mentionné aussi la tradition qui commence alors d’attribuer cette province à l’héritier de la couronne, qui en tire son nom : le dauphin. On n’a pas expliqué comment s’est faite cette première grande extension du royaume capétien à l’est du Rhône. Si les habitants de Grenoble ou de Romans sont aujourd’hui français, ils le doivent tout simplement aux aléas du marché immobilier de l’époque.
Le prince de cette province d’Empire s’appelait Humbert II (1312-1355). Il adorait le faste et tenait une cour somptueuse dans une jolie petite ville qui n’a sans doute jamais rien vu de semblable depuis, Beauvoir-en-Royans. Il était aussi très pieux. L’envie lui vint de monter
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