Nostradamus
Grand-Châtelet, le moine entendit une voix
qui disait :
– Messire, je crois que voici quelqu’un
qui vous cherche…
Loyola eut un tressaillement. Il avait reconnu
la voix. Et, cette voix, il la haïssait. Sans tourner la tête vers
l’homme qu’il entrevoyait confusément, il gronda :
– Au large, démon ! Tu ne prévaudras
point contre l’envoyé du Christ ! Nostradamus, devin, écoute
ma prédiction, à moi : Nostradamus, tu es pesé, compté,
divisé !
– La main de l’Invisible qui écrivit
Mane, Thécel, Phares
ne saurait s’abattre sur moi, car
c’est moi qui la dirige. Messire, encore une fois, voici quelqu’un
qui vous cherche.
Alors Loyola vit s’avancer un officier des
gardes du Louvre, qui, respectueusement, s’inclina devant lui.
– Révérend père, dit-il, je suis chargé
de vous communiquer une décision de Sa Majesté.
En même temps, une porte s’ouvrit sur l’une
des murailles qui soutenaient la voûte, et l’officier y entra. Le
moine suivit. Nostradamus entra et ferma la porte. C’était une
grande salle qui servait de corps de garde ; mais en ce
moment, il ne s’y trouvait que ces trois personnages.
– Révérend père, le roi m’a ordonné de
vous dire qu’il se trouve satisfait de la visite que vous avez
faite au royaume.
– Ce qui veut dire, fit Loyola avec un
sourire amer, que je dois considérer cette visite comme
terminée ?
L’officier s’inclina.
– C’est bien, reprit le moine. Sous trois
jours, j’aurai quitté Paris. Telle était d’ailleurs mon
intention.
– Révérend père, ce n’est pas dans trois
jours que le roi vous prie de quitter Paris, mais aujourd’hui
même.
– Soit ! fit Loyola.
Il était
temps !
songea-t-il.
–
Il est trop tard !
dit à
haute voix Nostradamus, répondant à cette pensée.
Le moine frissonna. Mais, se dominant, il
reprit :
– Je partirai donc ce soir…
– Ce n’est pas ce soir, c’est à l’instant
même qu’il faut partir.
Le moine étouffa un rugissement. L’homme à qui
il devait donner le signal de la mort du roi, l’attendait sur le
parvis Notre-Dame. Eh bien ! Il passerait sur le parvis, et
ferait le signe. Demain, il rentrerait dans Paris, assisterait aux
obsèques d’Henri II, donnerait ses instructions à
Roncherolles ; il n’y avait rien de changé… Loyola redressa la
tête.
– Soit encore, dit-il. Veuillez donc
m’escorter jusque chez moi, au parvis Notre-Dame, pour prendre…
– Vos papiers et livres, votre argent,
vos vêtements, tout est déjà dans la litière qui doit vous emmener
et qui attend devant le porche. J’ai ordre de ne vous quitter qu’en
Italie.
Une dernière chance lui restait : faire
passer la litière par le pont Notre-Dame, et, sur le parvis, coûte
que coûte, au péril de sa vie, donner le signal. À ce moment
même
,
Nostradamus prononça :
– C’est par la porte Bordette, officier,
que vous sortez de Paris. Lisez vos instructions. Vous devez
franchir la Cité par le Pont-au-Change et le pont Saint-Michel…
Le moine s’affaissa sur un escabeau ; il
était vaincu. L’officier sortit. Loyola regarda Nostradamus, et
songea :
– C’est ce démon qui me frappe !
– C’est moi ! dit Nostradamus avec
simplicité.
Le moine chancela. L’épouvante fit irruption
dans son esprit pour la deuxième fois depuis quelques minutes, cet
homme venait de répondre à une pensée non exprimée ! Cet être
possédait-il donc la faculté d’entendre la pensée
d’autrui ?
Nostradamus essuyait son front ruisselant de
sueur : il venait sûrement de faire un effort exhorbitant. Il
s’avança.
– C’est moi qui vous chasse au moment où
vous alliez délivrer le grand-prévôt. J’anéantis votre plan ;
le roi ne sera pas tué ; Catherine ne sera pas régente ;
pas encore…
– Qui êtes-vous ! Qui
êtes-vous ! balbutia Loyola.
– Je suis celui qui
voit,
dit
Nostradamus. Croyez-vous maintenant que j’ai conquis le pouvoir que
vous avez nié ?…
– Oui, oui ! râla Loyola, en
claquant des dents.
– Écoute donc, puisque tu crois. Dans un
mois, jour pour jour, moine, tu seras mort. Tu vas arriver à Rome,
brisé, sans forces, et tu n’auras pas le temps de parler au maître
des chrétiens. Ton œuvre aboutira au néant. Je vois la compagnie
que tu as fondée pour dominer le monde, en butte à la haine
universelle. Je la vois traquée par les rois, maudite par les
peuples. Je la vois enfin
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