Nostradamus
mourir au fond des siècles.
– Tais-toi ! râla le moine.
Laisse-moi une illusion suprême.
– Je me tais, dit Nostradamus avec une
pitié hautaine. Mais je t’en ai assez dit. Mes paroles resteront
dans ton esprit.
Il sortit, calme, majestueux, terrible.
Lorsque l’officier des gardes rentra dans la salle, il vit le moine
prostré sur les dalles, et il l’entendit qui murmurait :
– Inutile !… Mon œuvre mourra !
Ne plus croire !… Dieu !
Si tu existes,
un mot,
par pitié, un signe qui chasse le doute ! Rien !…
Rien !… Tout se tait !
Trois ou quatre gardes le saisirent,
l’emportèrent et le mirent dans la litière qui aussitôt
s’ébranla.
V – DEUX ASPECTS DE L’AMOUR.
Au moment où Le Royal de Beaurevers avait été
rencontré par Roland de Saint-André, le jeune homme allait au
hasard. Sa blessure fermée, c’était, se disait-il, plaisir de
reprendre pied dans Paris. Heureux de vivre. Heureux d’échapper à
ce mage qui, peu à peu, s’emparait de lui.
– Reviendrai - je dans cette
maison ? Oui, puisque par lui seul je puis savoir qui je suis.
Ce Nostradamus me pèse ! Il ne me pèsera pas longtemps. Mon
vieux Brabant, je tiendrai ma promesse. Tuerai-je cet homme qui m’a
sauvé, chez qui je sens sous la haine une étrange affection ?
L’amitié de cet indéchiffrable me fait peur plus que sa haine.
Tout à coup, il vit qu’il était rue de la
Tisseranderie, devant la maison de la Dame sans nom. Il
grommela :
– Pour moi, elle a un nom. Elle s’appelle
Croixmart.
La porte silencieuse et triste fascinait son
regard. Lentement, sans bruit, elle s’ouvrit. Marie de Croixmart
apparut. Le Royal de Beaurevers se sentit frémir. Au jour, ce
visage était auguste. Elle souriait au jeune homme. Elle vint à lui
et prit sa main qu’elle garda dans la sienne.
– Madame, dit Le Royal, ce que j’ai
promis, je le ferai. Je viendrai chez vous, et, si je puis, je vous
consolerai.
– Votre vue seule me console, mon enfant,
dit-elle. Mais voici que vous allez par les rues sous l’orage. Vous
êtes ruisselant. Il faut entrer et attendre que la pluie cesse.
C’était là une inquiétude d’amante ou de mère.
Le Royal sourit orgueilleusement. Il n’y avait pas d’orages pour
lui. Avec une douce fermeté, il reconduisit Marie jusque dans le
vestibule pour qu’elle-même fût à l’abri.
– Madame, je viendrai, car je plains de
toute mon âme ; mais aujourd’hui… Tenez, je ne savais pas
pourquoi j’allais ainsi sous l’orage. Je le sais maintenant et
j’éprouve je ne sais quel charme à vous le dire. Pourquoi à
vous ? Madame, j’ai peur d’un malheur arrivé à celle que
j’aime, et je vais voir…
– Celle que vous aimez ? interrogea
Marie.
– Florise, balbutia Le Royal, Florise de
Roncherolles…
Et il s’éloigna à grands pas – furieux et ravi
d’avoir dit son secret à haute voix. Quand il fut au bout de la
rue, il se retourna et vit la Dame sans nom qui, sous la pluie, le
regardait s’en aller. Elle était très pâle, et d’une voix
douloureuse, répétait :
– La fille de Roncherolles…
Il arriva à l’hôtel de la
Grande-Prévôté : c’était là qu’il allait !
Pourquoi ? Pour rien. Cela s’appelle rien. Mais tous ceux qui,
pour rien, ont rôdé autour d’une maison, savent que
rien
est parfois quelque chose d’énorme.
Il rôda, leva les yeux, enfin s’enivra de
rien.
Il finit par se trouver devant le grand porche, jeta
un coup d’œil dans cette cour où il avait si rudement mené la
fameuse bagarre, et, dans cette cour, il remarqua un étrange
mouvement de valets, de gardes, d’officiers.
Il eut l’intuition qu’il était frappé,
lui,
par l’événement inconnu. Et il entra dans la cour.
Dès les premiers pas, sans avoir besoin d’interroger, les rumeurs
éparses se condensèrent en quelques mots :
– Le grand-prévôt arrêté, Florise
disparue.
Le Royal de Beaurevers bondit dans le grand
escalier. Un calcul instinctif lui montra le chemin de cet
appartement où il était entré par la fenêtre. Il y fut en quelques
secondes et entra. Les cadavres des deux femmes de chambre lui
apparurent. Ces pièces que le grand-prévôt avait parcourues une ou
deux heures avant, il les parcourut…
Une minute plus tard, il était dans la
rue ; un quart d’heure plus tard en présence de Nostradamus.
Il avait ces yeux sans expression qu’on voit aux gens que vient de
frapper quelque effroyable
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