Nostradamus
dés sans regarder,
avec un sourire de triomphe. Dans cet instant même, Roncherolles
disait :
– Deux !… Ah ! monseigneur,
voilà un triste coup de dés.
François jeta un hurlement de joie ;
Henri, hagard, mordit la main qui avait agité le cornet et
râla :
– Malédiction !
III – LE MARIAGE SE FERA-T-IL ?
La maison de la rue de la Tisseranderie où
s’était réfugiée Marie de Croixmart était petite, d’extérieur
modeste, mais bien pourvue à l’intérieur. L’art imaginatif de la
Renaissance triomphait là. Cette maison, Marie la tenait en
propriété de sa mère, avec deux autres, dont l’une rue
Saint-Martin, et l’autre, rue des Lavandières, en face du cabaret
de
l’Anguille-sous-Roche.
Au rez-de-chaussée, en cette après-midi, huit
jours après les scènes que nous avons fait revivre, Bertrande
s’occupait des soins du ménage. À l’étage supérieur, dans la
chambre de Marie, Renaud est là, comme tous les jours.
Les deux fiancés, assis, se tenaient par la
main. La sérénité des traits de Marie reposait sur le frénétique
effort d’une volonté tendue à se briser. Tandis qu’elle souriait,
d’effroyables tumultes se déchaînaient dans son esprit.
– Voici la catastrophe ! Rien ne
peut l’empêcher ! Rien !
– Marie, continuait Renaud, voici écoulés
les huit jours d’attente que tu m’as demandés. Notre mariage au
lendemain du malheur eût été accompli sous de tristes auspices. Ces
huit jours ont remis un peu de calme dans mon cœur… le souvenir
s’estompe… l’épouvantable vision s’efface…
– Cher bien-aimé, dit Marie, attendons
encore un peu. N’es-tu pas sûr de mon amour ? Et tiens,
sais-tu à quoi j’ai pensé ?… Nous partirions tous deux, nous
irions à Montpellier, et là, sous le regard et la bénédiction de
ton vénérable père, notre union s’accomplirait…
Renaud secoua la tête.
– La catastrophe ! songea Marie.
Rien ne l’empêchera !…
– Tu oublies ce que j’ai pu oublier
pendant ces huit jours ; il faut que la fille de Croixmart
expie son double crime… le crime d’avoir envoyé ma mère au bûcher…
et le crime d’être fille d’un tel père. Ma mère a maudit cet homme
jusque dans sa postérité.
Je dois réaliser la
malédiction.
– Comme tu la hais ! murmura
Marie.
Un flamboyant éclair avait jailli des yeux
noirs de Renaud.
– Quant à mon père, reprit-il, tu as
raison de m’en parler. Il attend le philtre que je dois lui
apporter…
– Le philtre ? interrogea Marie en
tressaillant.
– Un philtre, que pour lui, j’ai été
chercher à Leipzig, et que lui a fabriqué un mage. Un philtre qui
peut prolonger sa vie, ou tout au moins lui rendre la force
nécessaire à ses travaux… Je vois que cela t’étonne. Bientôt tu
sauras la vérité sur mon père, sur ma mère et sur moi.
– Oh ! fit Marie avec curiosité,
quand sera-ce ?…
– Quand tu seras ma femme…
– Oh ! râla Marie. Rien n’empêchera
la catastrophe !
– Et ce sera demain ! acheva Renaud.
Le prêtre est prévenu. Deux de mes amis, Roncherolles et
Saint-André, seront témoins. Ah ! je ne veux pas courir à
Montpellier avant de t’avoir donné mon nom… et surtout, avant
d’avoir échangé avec toi le baiser suprême qui te fera mienne pour
toujours…
– Voici la catastrophe sur moi !
hurla l’âme de Marie. Oh ! cette pensée !… Seigneur
tout-puissant, c’est vous qui me l’envoyez !
Je serai sa
femme avant le mariage, et le mariage sera inutile !…
INUTILE, PUISQUE JE SERAI SIENNE SANS MARIAGE !…
D’un coup d’ailes, cet ange de pureté s’éleva
aux régions d’éternelle vérité où il n’y a plus ni pureté ni
impureté. Renaud s’était levé, en disant :
– Roncherolles et Saint-André
m’attendent. À demain…
– Reste, balbutia Marie, ne t’en va pas
encore…
– Que je reste ? bégaya Renaud
enivré, ébloui.
– Oh ! tu ne vois donc pas que je me
meurs d’amour !…
– Que je reste ? répéta le jeune
homme, qui frémit et sentit ses veines charrier des torrents
d’amour.
Elle ne répondit plus. Ses bras se nouèrent
sur lui. Ses yeux se fermèrent. Ses lèvres cherchèrent les lèvres
de Renaud… Marie s’évanouit à demi. Et lorsqu’elle se réveilla,
l’holocauste était accompli, Marie était la femme de Renaud.
– Maintenant, se dit-elle lorsque
chancelante, éperdue, elle se vit seule, oh !
maintenant,
le
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