Nostradamus
François I er les avait mis d’accord en
jouant le troisième larron. Roncherolles gronda à l’oreille du
dauphin :
– Et l’arrestation, monseigneur ! Si
vous n’arrêtez pas l’homme, la belle vous échappe !
Albon de Saint-André pâlit de s’être laissé
devancer.
– Sire, dit le dauphin, deux serviteurs
de Votre Majesté, le comte de Saint-André et le baron de
Roncherolles, après la bagarre d’hier, ont fait bonne garde. Menant
une ronde place de Grève, ils ont vu un certain Renaud, se livrer à
une besogne peut-être démoniaque et à coup sûr criminelle. Il faut
que cet homme soit arrêté, jugé, condamné. Sire, un ordre de vous,
et cet homme meurt !…
– Encore des histoires de
sorcellerie ! grommela le roi. Elles nous réussissent
bien !… Croixmart en sait quelque chose.
– Sire ! s’écria Henri. Cet homme a
été vu enlevant les ossements de la sorcière brûlée hier.
– Eh bien ? fit le roi d’un ton
bourru.
– Sire, il faut arrêter ce Renaud, et lui
faire son procès.
– Non pas, par la mort-dieu ! Assez
de procès en sorcellerie. Hier, nous avons eu une émotion qui a
failli tourner à la sédition. Mes enfants, apprenez à sourire au
lion, afin de le mieux dompter. Paris nous a dit hier qu’il ne veut
pas qu’on lui brûle ses sorciers et ses sorcières.
François et Henri se regardèrent. Roncherolles
et Saint-André soupiraient de rage. Le roi se dirigea vers la
porte. La main sur le bouton de cette porte, il se retourna, la
figure soudain assombrie :
– Amusez-vous, enfants, amusez-vous comme
s’est amusé votre père. Croyez-en votre roi ! Prenez garde de
mettre un remords dans votre vie ! On voit une fille, on la
trouve jolie, elle succombe… et on l’oublie ; alors, on croit
que c’est fini ! Dix ans, vingt ans plus tard, un spectre
éploré s’en vient rôder autour de vous. Alors, on s’aperçoit que ce
spectre, c’est celui de la fille qu’on a cru oublier ! Alors,
en entend des imprécations monter de quelque tombe solitaire, et on
se dit : Je suis maudit !…
Saisis d’une sorte d’effroi, pâles, les deux
princes écoutaient…
– Tout est perdu ! dit Henri. La
fille nous échappe !
– Rien n’est perdu, dit tranquillement
Roncherolles.
– Sans aucun doute ! se hâta
d’ajouter Saint-André. Puisque le roi refuse de faire arrêter
l’homme…
– Eh bien ! cria Roncherolles, nous
le ferons disparaître !
– Vous vous en chargez ? haletèrent
les deux princes.
– Nous nous en chargeons !
Les deux royaux sacripants furent rassurés.
Et, la jalousie se déchaîna en eux. Ils se rapprochèrent l’un de
l’autre.
– Suivons-nous le conseil du roi ?
haleta François.
– Lequel ? grinça Henri. Celui de
craindre le remords ?
– Non, rugit François,
celui de la
tirer au sort !
– J’allais vous le proposer ! gronda
Henri furieusement.
– Des dés ! hurla François.
– En voici ! dit Saint-André.
Albon tira de dessous son manteau un cornet de
cuir comme en portaient toujours les joueurs. Au moment où il
allait y ajouter les dés, Roncherolles en jeta sur la table et
dit :
– Tu fournis le cornet, moi les
dés ; chacun son apport.
– Et chacun sa part. C’est juste, dit
Saint-André.
– Qui commence ? fit Henri dans un
grondement de fauve.
– Moi ! râla François. Par droit
d’aînesse !
– Soit ! rugit Henri dont le regard
flamboya d’envie.
François saisit les dés, les jeta dans le
cornet, les agita.
– Convenons d’un règlement d’honneur,
reprit Henri.
– C’est vrai ! grinça François.
Soyons gens d’honneur.
– Celui qui aura perdu devra prêter ce
soir aide et assistance loyales à l’autre. Cela vous
convient-il ? Jurez !
– Je jure !…
Les deux frères, un instant, gardèrent le
silence. François secoua les dés. Mais Henri l’arrêta :
– Celui qui aura perdu devra renoncer à
jamais à la fille et ne jamais entreprendre contre elle.
Jurez !
– Je jure, gronda François. Jurez aussi,
vous !
Henri répéta le serment.
François agita le cornet, les dés roulèrent
sur la table.
– Trois ! cria Saint-André.
François eut un rugissement de rage ; il
avait amené
un
et
deux,
c’est-à-dire qu’il avait
toutes les chances possibles de perdre, chaque dé portant six
numéros, de un à six.
– C’est bien, dit François ; je
crois que j’ai perdu.
Henri, à son tour, jeta les
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