Nostradamus
travailler, dit
doucement Nostradamus.
– À vos Centuries ! Quand je vous
apportais la preuve qu’il y a juste autant de démons que de
créatures humaines…
– Oh ! oh ! fit Nostradamus en
souriant. Veux-tu dire par là que chaque créature humaine est un
démon ?
– Non. Je veux vous prouver que le nombre
des démons est toujours égal au nombre de créatures humaines
vivantes, en sorte que chacun de nous est escorté, conseillé par un ange
noir… Qu’écrivez-vous là ?… Voyons ?…
Nostradamus, après avoir consulté plusieurs
parchemins, venait d’écrire les deux lignes suivantes :
Anno 1589.
La mort subite du premier personnage
Aura changé et mis un autre règne [21] .
– Maître, maître, pourquoi vous tuez-vous
à ce travail ?
– Pour oublier ! répondit sourdement
Nostradamus.
Le petit vieux cessa de rire, et déposant sur
la table plusieurs papiers numérotés et mis en ordre :
– Maître, dit-il, soyez tranquille. Nous
avons l’œil partout. Consultez ces notes qui résument les
différents rapports de nos espions. Voici ce qui concerne la
demoiselle Florise. Voici pour le sire de Roncherolles. Voici pour
le sire de Saint-André. Voici pour le roi de France. Voici pour la
reine et les quatre spadassins qui sont entrés à son service.
Djinno se retira. Nostradamus prit le papier
qui concernait Roncherolles, le lut attentivement, et poussa un
soupir…
– Souffre, damné ! gronda-t-il. Tu
ne souffriras jamais ce que j’ai souffert !…
Il se pencha sur ses parchemins et
s’immobilisa dans une étude qui dura deux ou trois heures. Alors,
sans cesser de considérer les lignes géométriques, à tâtons, il
chercha la plume, et – sans regarder – écrivit :
Le Grand de Blois son ami tuera.
Le règne mis en mal et doute double [22] .
Le jour commençait à filtrer à travers les
vitraux lorsque Nostradamus se rejeta en arrière les yeux fermés.
Il ne dormait pas pourtant. Et sans doute, la pensée dominante de
sa vie continuait à le persécuter, car il murmura :
– Quoi ! Ce que voient les autres,
lorsque j’évoque les esprits, je ne pourrais donc jamais le voir,
moi !… Oh ! la revoir ! une fois… une seule
fois !… Essayons encore !
De tout son être, de toute Sa volonté
centuplée, Nostradamus appela l’esprit de Marie. Tout ce qu’il y
avait en lui de fluides puissants s’extériorisa et se répandit dans
les espaces… Tout à coup, une forme se manifesta dans l’air, à
trois pas de Nostradamus, droit devant lui…
Nous disons une forme, à défaut d’autre terme.
C’était plutôt une condensation brillante en une place déterminée
de l’atmosphère. Nostradamus vit clairement cette blancheur qui se
balançait dans l’air… Il fut secoué d’une terrible secousse… Pour
la première fois,
il voyait l’invisible.
Il parla. Non des lèvres, mais de la
pensée :
– Est-ce toi, Marie bien-aimée ?
Est-ce toi ? Je t’en conjure, fais-moi comprendre que c’est
toi !… Je le veux !
Alors la vague blancheur aérienne se condensa
davantage.
Cela prit cette fois une forme. Et c’était une
forme humaine toute blanche, où il distinguait les vagues contours
d’un corps suspendu dans l’air. Il redoubla de volonté. La forme
humaine se précisa encore et devint une forme féminine sans qu’il
pût distinguer le visage ni les détails du costume…
Un temps inappréciable s’écoula. Les secousses
qui agitaient Nostradamus devinrent plus rapides. Ses yeux étaient
révulsés, c’est-à-dire que la prunelle était tournée en dedans,
c’est-à-dire qu’il ne pouvait plus voir.
Et c’est à ce
moment qu’il VIT !…
Il vit le visage et le reconnut ! C’était
elle !… C’était Marie !…
Elle était vêtue de noir et de blanc, costume
de deuil. Elle portait exactement les mêmes vêtements que la nuit
où elle l’avait aidé à chercher les ossements de la
suppliciée !…
Un long, un funèbre hurlement s’éleva dans le
silence… C’était Nostradamus qui appelait Marie ! qui se
débattait contre la présence de
l’invisible !
Il s’affaissa sur le tapis, sans
connaissance.
Quand il revint à lui, Djinno le soignait et
répétait :
– Voilà ce que c’est que vos Centuries du
diable !
IV – RONCHEROLLES
Nostradamus venait de réussir pour son propre
compte une évocation. Cette fois, il avait vu lui-même. Il chercha
les causes de ce fait, et voici ce qu’il
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