Nostradamus
avait raison ! Je le vois maintenant. Vous vous
êtes vanté d’une science impossible pour vous approcher de moi.
Vous ne savez rien. Vous ne pouvez rien !
– J’ai pu du moins vous réveiller pour
une heure au moment où, sans souffrir, vous alliez entrer dans la
mort. J’ai pu du moins vous rendre assez de force pour jeter un
suprême regard sur les jouissances que vous allez abandonner…
– Oh ! le misérable qui, pouvant me
laisser mourir en paix, est venu m’éveiller pour m’obliger à
contempler ma propre agonie ! Que t’ai-je fait ? Parle.
Qui es-tu ?
– Je vous l’ai dit : je suis votre
juge. Je veux ignorer le mal que vous avez fait. Je veux ignorer
que vous ayez empoisonné, votre frère François…
– Grâce !…
– Cela ne me regarde pas ! continua
Nostradamus. Que vous ayez envoyé au bûcher une foule de malheureux
innocents, cela ne me regarde pas.
– Mais alors… quel mal vous ai-je fait, à
vous ?
– Je vais vous le dire. Mais d’abord
sachez que c’est moi qui ai armé le bras de Beaurevers. C’est moi
qui, avant votre entrée dans la lice, vous ai persuadé de remplacer
l’arme courtoise par une lance aiguisée. C’est moi qui vous ai
prouvé que votre adversaire était aimé de Florise. C’est moi qui
vous ai soufflé la haine, comme je l’avais soufflée à votre
adversaire. Je voulais un combat loyal. Je voulais voir si vous
étiez destiné à mourir sous les coups de l’homme suscité contre
vous… L’événement a donné raison au Destin !
– Oui, fit le roi, ce misérable m’a
frappé, et moi-même j’eusse donné une fortune pour le frapper à
mort. Oh ! il faut que tu haïsses bien, toi qui viens me
rappeler au seuil de la tombe que j’ai eu un seul amour sincère, et
qu’un autre est aimé de Florise, de celle que je destinais au
trône…
– Vous devez horriblement souffrir en ce
cas ?
– Oui !… Je meurs désespéré, c’est
vrai, mais je meurs vengé. Le Royal de Beaurevers est
condamné ; j’espère vivre encore assez pour apprendre sa mort.
Lui mort, Florise mourra aussi.
– Bien ! dit Nostradamus.
Maintenant, sire, il faut bien que vous sachiez qui est ce Royal de
Beaurevers…
– Qui est-ce ? rugit le roi en se
redressant.
– C’est votre fils ! dit Nostradamus
avec majesté.
Henri II demeura quelques minutes comme
écrasé. Il entrevit aussitôt que l’homme qui l’avait tué, l’homme
qu’il allait faire tuer par le bourreau pouvait être son
fils : il avait eu tant de maîtresses !… Il fouilla ses
souvenirs, et bientôt :
– Si c’était vrai, ce serait horrible, en
effet. Mais en dehors de mes enfants légitimes,
je ne me
connais pas de fils…
Nostradamus se pencha sur le roi et murmura ce
nom :
– Marie de Croixmart !…
Le roi étendit les mains comme pour conjurer
un spectre.
– Vous vous souvenez maintenant, n’est-ce
pas ?
– Ce n’est pas moi qui ai tué cette
infortunée !
– Je le sais. Ce fut votre frère. Il la
tua par jalousie.
– Oui, oui… Ce fut affreux. Je me suis
souvent repenti de ce crime de ma jeunesse. C’est vrai. François et
moi, nous avons persécuté cette jeune fille. Nous l’avons fait
enfermer au Temple… Vous pleurez ? Qu’était pour vous cette
jeune fille ?…
– C’était ma femme ! dit
Nostradamus.
– Pardonnez-moi, murmura le roi.
– Le Royal de Beaurevers est le fils de
Marie de Croixmart. Un bravo, nommé Brabant-le-Brabançon fut par
vous chargé de faire disparaître l’enfant. Le bravo fut
pitoyable…
– Oh ! je me souviens ! C’est
vrai ! balbutia Henri. Cet enfant, j’ai bien souvent pensé à
lui. Je le croyais mort…
– Et pourtant vous redoutiez sa
venue ! Il est venu !… Le fils de Marie de Croixmart
s’est levé contre son propre père et c’est moi, qui l’ai conduit
jusqu’à vous…
– Contre son propre père ? haleta le
roi.
– Contre vous !…
– Moi ! Mais je ne suis pas son
père !… Le Royal de Beaurevers n’est pas mon fils, puisque
vous dites vous-même que c’est l’enfant de Marie de Croixmart et
que… ni moi, ni mon frère n’avons jamais pu abattre la résistance
de la prisonnière.
Nostradamus étreignit son front comme pour
empêcher la pensée de fuir. À ce moment, il entendit derrière lui
un ricanement. Il se retourna et vit Djinno. Il n’y prêta aucune
attention. Il se sentait tomber dans il ne savait quel abîme.
Et, dans cette
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