Nostradamus
est surtout coupable de savoir que
les droits de mon fils Henri peuvent être contestés.
– Madame, il y a un homme, sans me
compter, qui sait ce que sait ce jeune homme. Et vous l’avez laissé
fuir.
– Montgomery ? fit la reine. Lui
aussi mourra.
– Et moi ! gronda Nostradamus.
– Vous !… Oh ! vous… je sais
que vous ne me trahirez pas, quoi qu’il advienne. Venez. Je vais
vous conduire au roi…
Quelques instants plus tard, Nostradamus se
trouvait devant le blessé, et était laissé seul dans la
chambre.
Le roi était immobile, le visage blafard. Des
linges cachaient l’œil blessé. L’autre œil était à découvert, mais
fermé. Nostradamus prit l’une des mains du roi, puis
l’abandonna ; la main retomba, inerte. Sûrement, le roi était
en agonie. Nostradamus le contemplait…
Là, sous ses yeux, vivant sa dernière heure,
c’était donc l’homme qui avait fait le malheur de sa vie ! Et,
chose étrange, Nostradamus n’éprouvait pas devant cet agonisant la
joie qu’il avait espérée. Sa vengeance lui échappait. Ce n’était
pas de la pitié. Ce n’était pas de la haine satisfaite. C’était le
sentiment du vide ! L’effroyable inutilité de tout !
Il eût, dans cette minute, donné dix ans de sa
vie pour éprouver un peu de cette haine pour laquelle il avait
vécu.
– Voyons, dit-il. Je hais cet homme. Je
veux qu’il meure en pleine conscience de sa damnation. Pourquoi ma
mère est-elle morte ?… Morte ? Non ! Mais entre ma
haine et moi, il y a un sentiment interposé. Quel est ce
sentiment ?…
Comme il disait ces mots, il s’aperçut que, si
sa haine disparaissait, c’est qu’il n’y avait place en lui que pour
la douleur !… Et, comme il cherchait la cause de cette
douleur, il vit clairement qu’il pleurait parce que Le Royal de
Beaurevers était condamné !…
– Rien ne peut le sauver ! Cette
reine eût tout pardonné à cet enfant, excepté de savoir le secret
de la naissance de son fils Henri !… Et c’est cela que je
pleure !… Moi ! Je pleure sur le fils du roi !…
Un ricanement sec éclata. Nostradamus vit
Djinno.
– Pourquoi es-tu là ? demanda-t-il.
Et comment y es-tu ?
– Comment ? Peu importe.
Pourquoi ? Vous avez oublié ceci.
Il tendait un flacon empli d’une liqueur
brune.
– L’élixir de longue vie !
grinça-t-il en éclatant de rire. Ou du moins l’élixir qui peut
rendre à ce mourant une heure de vie – juste le temps de délecter
cette vengeance après laquelle vous courez depuis vingt-trois ans.
Prenez !…
Djinno s’approcha d’Henri II, et dans la
bouche entr’ouverte, versa le contenu du flacon. Puis il fit un
mouvement pour se retirer. Nostradamus le saisit par la main.
– Qui es-tu ? gronda-t-il.
– Je suis Djinno, votre humble
serviteur.
– Oui ! balbutia Nostradamus. Et
pourtant… il y a des jours où je me demande si tu es bien ce que tu
parais être…
– Alors, vous n’avez qu’à interroger sur
moi l’Occulte !
– L’Occulte ! En vain je lui ai
demandé qui tu es ! En vain je l’ai interrogé sur
moi-même ! En vain j’ai voulu connaître le sort de…
– De ce jeune homme ? fit Djinno. Le
Royal de Beaurevers va mourir, seigneur ! Voilà la
réponse !
– Tais-toi !… Va-t’en !…
– Je m’en vais. Tenez, voici Henri qui
s’éveille.
Nostradamus se tourna vivement vers le roi.
Djinno se redressa, puis se retira dans un angle obscur.
Henri II sortait en effet de léthargie. Il sentait la vie lui
revenir à flots.
Nostradamus se rapprocha. À mesure qu’il avait
vu le roi revenir à la vie, il avait aussi senti renaître toute sa
haine. Le roi lui tendit les mains et bégayait :
– Merci, merci, vous êtes mon
sauveur !
– Je suis votre juge ! dit
Nostradamus.
Le roi le vit si terrible d’aspect qu’une
terreur insensée fit irruption dans son âme. Il allongea le bras
vers une clochette. Nostradamus, du bout du doigt, toucha la main
prête à saisir la clochette – et la main demeura comme
paralysée.
– Inutile d’appeler. Il faut que vous
m’entendiez. Il vous reste une heure à vivre. Cette heure
m’appartient !
– Une heure à vivre ? bégaya Henri.
Je vais donc mourir ?
– Oui. Quand vous m’aurez entendu…
– Mourir ! râla le blessé. C’est
donc vrai !… Sauvez-moi !
– Ceci n’est pas en mon pouvoir, dit
Nostradamus.
– Vous êtes un faux mage ! rugit le
roi. Le moine
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