Nostradamus
l’auberge
de
l’Anguille-sous-Roche.
Vous demanderez Gilles :
c’est cet homme. Ou bien la Margotte : c’est cette femme.
– Et vous, qui êtes-vous ? fit
Beaurevers avec émotion.
L’inconnue, d’une voix sombre
répondit :
– Moi… je suis la
Dame sans
nom.
Déjà l’inconnue s’éloignait, accompagnée de
l’homme et de la femme. Mais avant de partir, elle avait laissé
tomber son escarcelle aux pieds de Trinquemaille en
disant :
– Prenez, ceci vous est donné de bon
cœur.
Or, les quatre malandrins virent parfaitement
la sacoche ; mais pas un d’eux ne se baissa. Strapafar, voyant
Le Royal pensif, osa le toucher au bras, et dit :
– Elle va juste où nous allons : rue
des Lavandières. Mais cette pauvre escarcelle ? La
laisserons-nous à la pluie, à la merci de quelque
truandaille ?
– Allons, ramasse ! fit
Beaurevers.
Quatre torses baissés. Quatre mains qui
s’allongent. En un clin d’œil, la sacoche fut vidée, le partage se
trouva fait.
–
La Dame sans nom !
murmura sourdement Le Royal de Beaurevers… Et moi aussi, je n’ai
pas de nom !…
À ce moment, Trinquemaille dit tout bas à
Bouracan :
– J’ai reconnu la voix de la dame à
l’escarcelle !
– Qu’est-ce que ça fait ? fit
Bouracan. Allons chez Myrta.
– Ça fait, continua Trinquemaille, que
cette voix c’est celle de la dame que j’essayai de voler à
Saint-Eustache – ça fait donc que cette dame-là s’appelle Marie de
Croixmart !
V – L’ANGUILLE-SOUS-ROCHE
Vers le milieu de la rue des Lavandières, la
gigantesque enseigne représentait une monstrueuse anguille, dont
les replis se déroulaient capricieusement.
Ce n’était pas une noble auberge comme la
Devinière,
par exemple. C’était un de ces cabarets qui, à
l’heure du couvre-feu, fermaient leurs portes selon les
ordonnances, mais pour les entrebâiller ensuite à tout client qui
frappait d’une façon particulière. Il y avait une salle commune.
Mais à droite et à gauche, s’ouvraient des salles réservées. À
l’heure où elle renvoyait tout son monde, Myrta demeurait seule
dans l’auberge. Nul n’y couchait, qu’elle seule.
C’était une étrange fille que Myrta. Elle
avait ses idées à elle. L’une de ces idées était de n’offrir ni
vendre jamais l’hospitalité nocturne à qui que ce fût au monde.
Là, vers l’heure louche, affluaient le bravo,
le truand, le coupe-bourse, la ribaude, le gentilhomme ivre. Dans
la rue, un homme montait la faction pour annoncer le guet ;
événement qui ne s’était produit que deux fois depuis trois ans que
Myrta tenait ce cabaret.
À deux heures du matin, cette nuit-là, les
clients étaient partis depuis longtemps ; la salle était vide,
mais les salles réservées de droite et de gauche étaient occupées
par deux bandes qui faisaient bombance. À droite, c’était la bande
des douze, que Le Royal de Beaurevers avait interrompue au moment
où elle allait dévaliser la dame inconnue. À gauche, c’était la
bande Trinquemaille et compagnie.
Ici, les quatre malandrins, la casaque
dégrafée, les figures empourprées, étaient à fin de ripaille.
– Vivadiou ! glapissait Strapafar,
quelle oie rôtie ! Maintenant que nous avons retrouvé lou
Royal, ça va être tous les jours comme dans le bon temps.
– Quel pâté d’anguille, saints et
anges ! dit Trinquemaille.
– Et les saucisses ! vociféra
Bouracan.
– Pour moi, rugit Corpodibale, j’aurais
donné la palme à cette omelette du début. Et quant aux coups
d’estoc et de revers et de pointe, puisque Le Royal est avec nous,
il va en pleuvoir.
Le Royal de Beaurevers écoutait le quatuor. Il
s’était levé, avait agrafé sa ceinture et jeté son manteau sur
l’épaule. Les quatre se préparaient à l’imiter. D’un geste, il les
arrêta. Et Le Royal – non sans émotion – parla encore :
– C’est vrai, mes bons compagnons, nous
avons proprement tiré l’épée ensemble depuis que nous nous
connaissons. Alors que nos routes étaient différentes, je vous ai
maintes fois regrettés ; toi, Strapafar, pour ta gaieté ;
toi, Trinquemaille, pour ta piété ; toi, Corpodibale, pour ta
franchise, et toi, Bouracan, pour ta force ; tous, pour la
bravoure. Aussi, quand je vous ai retrouvés sur la route de Melun,
aux
Trois-Grues,
mon cœur a sauté de joie.
Ils se redressaient pour écouter leur éloge
prononcé par Le Royal de Beaurevers ! Leurs
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