Nostradamus
faces
s’illuminaient. Tout à coup, sur ces mêmes faces, la stupeur, la
douleur.
– Maintenant, il faut nous
séparer !… Parce qu’avec moi, vous ne feriez plus que des
bêtises ; je vous empêcherais de vivre. Ceci est notre dîner
d’adieu. Au surplus, qui sait ? nous nous reverrons sans
doute. Adieu donc. Silence ! J’ai horreur des faiblesses de
cœur. Seulement, si l’un de vous a besoin de ma peau pour sauver la
sienne, vous Viendrez à Myrta. Voilà. Adieu.
Le Royal sortit, furieux. Contre qui ?
Surtout contre lui-même. Il méprisait ces hommes et il les
aimait.
– Pauvres bougres ! murmura-t-il en
s’éloignant.
Les quatre étaient demeurés ahuris de
détresse.
– Nous avons perdu l’âme de notre âme,
dit Corpodibale.
– C’est lou pigeoun qui se perd, dit
Strapafar.
– On se passera de lui ! grommela
Trinquemaille.
Bouracan ne dit rien. Il pleurait.
Le Royal de Beaurevers entra dans la cuisine,
vaste, admirable d’ordre et de propreté. Une haute flamme claire se
tordait dans la cheminée. Là se déployait le génie de Myrta.
C’était une belle et bonne fille, épanouie en sa blonde beauté,
sage parmi la luxure, sobre au milieu de l’ivresse. À l’entrée de
Beaurevers, elle rougit un peu, et, sans détourner les yeux d’une
sauce qu’elle surveillait :
– De retour à Paris ?… À peine ai-je
eu le temps de vous saluer à votre entrée avec vos compagnons de
débauche.
– Je viens te dire bonsoir. Comme tu te
fais belle ! Le reflet de ces flammes donne une jolie couleur
à ce visage !
– Si je suis belle, vous êtes le millième
à me le dire. Autant en emporte le vent. Mais parlons de vous.
– Justement, Myrta, je suis venu te
parler de moi.
– Vous venez me dire que vous ne pouvez
me payer l’orgie de cette nuit. Autant encore en emporte le
vent.
– Il ne fallait pas me faire crédit,
Myrta ! Combien te dois-je ? Misère ! Seul, pauvre,
minable, sans gîte, sans espoir, il faut donc que je m’entende
réclamer le prix d’un dîner !
– Votre dette, dit Myrta, n’est pas
encore montée au total du crédit que je vous ai fixé. Donc, ne vous
gênez pas.
– Bah ! Tu m’as fixé un crédit chez
toi ?
– Comme à tous mes clients. Jusqu’à deux
livres à tel truand, jusqu’à dix écus à tel gentilhomme riche.
– Et au roi de France, quel crédit
accorderais-tu ?
– J’irais jusqu’à cent écus, dit
Myrta.
– Peste ! Je voudrais être
roi ! Dis-moi mon crédit, à moi ?
– Mille ducats d’or, dit Myrta d’une voix
grave.
Il tressaillit, soudain pâli. Une seconde, il
fut écrasé d’humiliation sans savoir qu’il était humilié. Il vit
Myrta qui tremblait. Sa colère chavira…
– Myrta, dit-il d’une voix attendrie,
mille ducats, c’est dix fois peut-être ce que vaut ton auberge. Tu
es une bonne fille, je n’oublierai jamais ce que tu viens de
dire.
Elle se tourna vers le poêlon qui chantait sur
le feu, et y jeta une pincée d’épices. Elle murmura :
– Puis-je oublier que le même sein
maternel nous a nourris tous deux ? N’êtes-vous pas comme mon
frère ?
– C’est vrai… Tu es comme une sœur pour
moi. J’étais venu te demander deux choses. La première, c’est de me
donner un gîte dans ton auberge.
Une flamme de joie rapide éclaira les yeux de
Myrta.
– Je vais maintenant rester à Paris
jusqu’à ce que j’aie trouvé je ne sais quoi qui me guette dans ce
vaste dédale de rues…
– Vous êtes ici chez vous, dit-elle d’une
voix troublée. Voyons la deuxième chose.
– Tout à l’heure, je me suis heurté à
douze hommes partis trop vite à mon gré. Je veux savoir qui ils
sont. Ces douze hommes font ripaille dans ta salle de droite.
– Ils ne sont plus douze : ils sont
treize, maintenant.
– Soit. Ouvre-moi le cabinet d’où l’on
voit dans leur salle.
Myrta n’hésita pas. Elle alla à une petite
porte dérobée et l’ouvrit, ce qu’elle eût refusé de faire pour tout
autre. Au moment où Le Royal allait pénétrer dans le cabinet, elle
le toucha au bras :
– Depuis une huitaine de jours, un homme,
un petit vieux, vient ici tous les soirs à la même heure, et
demande si vous êtes arrivé. Puis il s’en va en recommandant de
vous dire de ne pas oublier le rendez-vous que vous a donné son
maître.
– Le nom de ce maître ? demanda Le
Royal tressaillant.
– Tout le monde à Paris le prononce
depuis quelques
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