Nostradamus
de quelque souvenir terrible… C’était Henri II
à quarante-deux ans.
– Madame, dit-il d’un ton indolent, j’ai
cru bon, avant de la rendre publique, de vous faire part d’une
décision d’État à laquelle je me suis résolu.
Catherine esquissa une révérence. Elle était
peu habituée à être mise au courant des décisions d’État.
– Sire, dit-elle, c’est là une haute
faveur.
Henri II jeta autour de lui un regard
indifférent.
– Daignez vous asseoir, madame,
reprit-il.
Catherine prit place dans un fauteuil. Par une
flatterie qui étonna Catherine et la mit sur ses gardes,
Henri II resta debout. Et il laissait errer ses yeux partout,
les arrêtant sur tous les objets de la chambre – excepté sur
elle.
– Madame, reprit-il, d’étranges
pressentiments me visitent. J’ai cette intuition que bientôt je
vais mourir.
Catherine tressaillit. Une légère pâleur
s’étendit sur son front. Mais elle ne prononça pas un mot.
– Cela étant, continua le roi, j’ai voulu
assurer à chacun de mes serviteurs et amis une récompense qui me
rappelât à leur souvenir… quand je n’y serai plus. Parmi ces amis,
il en est une que vous avez daigné honorer de votre faveur.
– Diane ! fit la reine d’un ton
parfaitement paisible.
– Oui, madame ! dit Henri II en
s’inclinant.
– Je serai heureuse de tout ce qui pourra
encore advenir d’heureux à cette fidèle conseillère de Votre
Majesté.
La voix de la reine était calme. Mais si le
roi eût entendu le rugissement de rage qui grondait dans la
conscience de Catherine, peut-être eût-il cru à son pressentiment
de mort.
– À quel nouvel honneur destinez-vous
notre favorite ?
– Je lui donne le duché de
Valentinois ! répondit Henri II avec une violence
indiquant une résolution irrévocable.
Catherine se leva, frémissante. Un instant, la
haine qu’elle déguisait depuis des années monta à ses lèvres. Mais
brusquement l’éclair de ses yeux s’éteignit.
– Il sera beau, dit-elle, que la fille du
sire de Saint-Vallier succède à César Borgia dans la possession de
ce duché.
Et en elle-même, tandis qu’elle s’inclinait,
elle murmura :
– Après le forban papal, la royale
ribaude !
– Ainsi, dit le roi tout joyeux, vous
approuvez ?
– C’est-à-dire, mon cher sire, que je
regrette de n’avoir pas eu, la première, cette pensée vraiment
belle.
– Merci, madame ! dit Henri II
avec empressement. Diane avait continué de vivre à la cour, sous le
même toit que Catherine. Mais maintenant que la maîtresse était
délaissée du roi autant que l’épouse, la cour se demandait quelle
nouvelle divinité allait régner sur le cœur du souverain. Catherine
le savait, elle !… Elle savait que ce titre de duchesse jeté à
Diane, c’était son congé. Et elle murmurait :
– Florise ! Florise ! C’est
donc toi qui vas succéder à Diane… si je ne m’en mêle
pas !
Henri II, dans un mouvement de joie, lui
avait pris la main et la baisait avec ferveur. Au moment où le roi
se redressait, elle retint sa main. Elle le vit ému. Elle espéra
que son mari… peut-être !… allait lui revenir à elle
seule ! Pensées de meurtre, pensées de vengeance, tout
s’évanouit. Elle ne fut plus Catherine de Médicis. Elle fut une
femme.
Son sein palpita. Sa beauté se revêtit de
tendresse. Henri la considéra, étonné. Elle lui apparut vraiment
belle. Il frémit. En un instant, ce qui se leva en lui, ce fut le
désir… il répondit à la pression de la main de sa femme !…
– Henri, murmura-t-elle, éperdue,
avez-vous jamais songé que nous sommes unis dans l’éternité, non
seulement par le nœud du mariage, mais aussi par des liens que Dieu
lui-même serait impuissant à rompre ?
– Que voulez-vous dire, fit le roi gagné
par l’ivresse.
– Henri, mon roi… si vous le
vouliez ! tout serait effacé… vos amours dont j’ai tant
souffert, les dédains dont j’ai été accablée… Vous apprendriez ce
qu’il y a de force et de dévouement dans ce cœur qui vous
appartient ! À deux, nous serons plus forts pour repousser le
spectre de votre frère qui parfois se penche sur ma couche
solitaire et qui vous escorte, vous, jusque dans le lit de vos
maîtresses…
– Madame ! râla le roi, livide.
Ah ! madame, quels sanglants souvenirs osez-vous
évoquer !
– Croyez-vous donc, reprit-elle, que je
n’aie pas deviné le tourment de vos jours, la terreur
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