Nostradamus
Florise était demeurée gardée à vue
dans sa chambre.
Pourquoi, ce soir-là, son père la menait-il à
la Cour ?… De tristes pressentiments l’assaillaient. Et
lorsqu’elle voulait chercher un refuge dans son cœur, elle
éprouvait comme un vague effroi. Pourquoi, tous les soirs, un nom
nouveau s’ajoutait-il à ceux que, dans sa foi naïve, elle mettait
sous la protection des anges ? Ce nom !… Celui d’un
truand ! Pourquoi, oh ! pourquoi dans ses rêves de vierge
le voyait-elle comme un fils de roi – non comme un fils de
truand ?…
« Le Royal de Beaurevers ! »…
Ce nom, elle le prononçait tout bas, tandis que le grand-prévôt se
dirigeait tout droit vers le jeune Roland de Saint-André. À sa vue,
le vicomte Roland blêmit.
– Il sait tout ! gronda-t-il. C’est
le père de Florise, oui, mais malheur à lui si…
– Vicomte, dit Roncherolles, un mot,
voulez-vous ?
– Parlez monsieur, frémit Roland.
La Trémoille, Brantôme, Tavannes et Biron
s’écartèrent.
– Voulez-vous épouser ma fille ?
reprit Roncherolles.
Roland de Saint-André bondit. Ses yeux se
fixèrent sur le grand-prévôt avec une expression de terreur,
d’espoir…
– Cela vous étonne. Vous m’avez trois
fois demandé Florise et je vous ai toujours répondu qu’elle n’était
pas pour vous. Poussé à bout, vous avez profité d’un voyage que ma
fille a dû faire à Fontainebleau, pour essayer de l’enlever. Le
truand que vous avez payé pour cette besogne vous l’a enlevée à
vous-même. Maintenant, je vous répète : Voulez-vous épouser ma
fille ?… Pourquoi j’ai changé d’avis, peu importe. Répondez à
ma question. Un mot. Oui ou non.
Roland jeta un regard enivré du côté de
Florise, qui baissa la tête comme si de loin, elle eût entendu…
– C’est oui, répondit-il, c’est cent fois
oui ! Oh ! monsieur…
– Nous causerons de cela tout à l’heure,
devant le roi.
Et le grand-prévôt rejoignit sa fille,
laissant Roland stupide de bonheur… À ce moment, le héraut
criait :
– Son Altesse Royale, monseigneur le
dauphin ! Sa Majesté la reine d’Écosse !
Un long murmure d’admiration salua l’entrée de
Marie Stuart.
Reine presque dès le jour de sa naissance,
venue en France pour y faire son instruction, la nièce du duc de
Guise et du cardinal de Lorraine possédait une grâce harmonieuse,
une beauté douce et radieuse. Elle avait alors un peu plus de seize
ans, et sa majesté s’estompait d’une mélancolie voilée, tandis que
ses yeux brillaient de toute sa gaie jeunesse. Son mari, le dauphin
François – époux encore
in partibus
– la conduisait par la
main, béant d’admiration…
– Ah ! monsieur Ronsard, fit tout à
coup Marie Stuart.
Et elle traversa les groupes inclinés pour se
diriger vers deux ou trois hommes qui se tenaient en arrière.
– Savez-vous bien, maître Ronsard,
reprit-elle, que j’ai pris un plaisir extrême à lire votre
Bocage Royal ?
– Madame, dit Ronsard qui n’avait pas
entendu un mot, ce sont cette fois des
Églogues
, et j’y
mets la dernière main.
– Excusez-le, madame, dit un jeune homme
à figure mélancolique et tendre, notre cher maître est sourd.
C’était du Bellay, le doux poète, qui venait
de parler.
– Il a perdu l’ouïe à écouter les dieux,
fit Marie.
– C’est la plus belle louange qu’aura
reçue le chef de la Brigade.
– La Brigade ? fit la reine
d’Écosse. C’est le nom que vous donnez, je crois, au groupe de
charmants poètes dont vous faites partie ? Le mot est joli,
sans doute. Mais le nom qui vous convient, c’est aux étoiles qu’il
faut l’emprunter. Pour moi, vous n’êtes pas la Brigade, mais la
Pléiade.
Il y eut un cri d’admiration, mais déjà la
jeune reine se dirigeait vers un autre groupe, et là, c’étaient des
artistes, Pierre Lescot, Germain Pilon, Jean Goujon, Philibert
Delorme. Et pour chacun, elle disait le mot qui flatte, qui touche
le cœur.
– Ah ! messieurs, dit-elle en
s’éloignant, que ne puis-je vous emmener en Écosse ! Ou plutôt
que ne puis-je rester toujours dans ce pays de France, séjour de
l’art et de la poésie !…
– Et de l’hérésie ! compléta
Brusquet qui, en même temps, se fendit par le grand écart, jusqu’à
s’asseoir sur le sol.
Au moment où une rumeur d’indignation
commençait à monter, très menaçante pour le pauvre bouffon, la voix
d’un moine s’éleva, martelant les
Weitere Kostenlose Bücher