Notre France, sa géographie, son histoire
qui aurait poussé le dernier cri de Waterloo : La garde meurt et ne se rend pas.
Le génie de la Bretagne, c'est un génie d'indomptable résistance et
d'opposition intrépide, opiniâtre, aveugle ; témoin Moreau, l'adversaire
de Bonaparte. La chose est plus sensible encore dans l'histoire de la
philosophie et de la littérature. Le breton Pélage, qui alluma l'étincelle dont
s'éclaira tout l'Occident, qui mit l'esprit stoïcien dans le christianisme, et
réclama le premier dans l'Église en faveur de la liberté humaine, eut pour
successeurs le breton Abailard et le breton Descartes. Tous trois ont donné
l'élan à la philosophie de leur siècle. Toutefois, dans Descartes même, le
dédain des faits, le mépris de l'histoire et des langues, indique assez que ce
génie indépendant, qui fonda la psychologie et doubla les mathématiques, avait
plus de vigueur que d'étendue.
Cet esprit d'opposition, naturel à la Bretagne, est marqué au dernier
siècle et au nôtre par deux faits contradictoires en apparence. La même partie
de la Bretagne (Saint-Malo, Dinan et Saint-Brieuc) qui a produit, sous Louis
XV, Duclos, Maupertuis et Lamétrie, a donné, de nos jours, Chateaubriand et
Lamennais.
Jetons maintenant un rapide coup d'œil sur la contrée.
A ses deux portes, la Bretagne a deux forêts, le Bocage normand et le
Bocage vendéen ; deux villes, Saint-Malo et Nantes, la ville des corsaires
et celle des négriers 2 .
L'aspect de Saint-Malo est singulièrement laid et sinistre ; de plus,
quelque chose de bizarre que nous retrouverons par toute la presqu'île, dans
les costumes, dans les tableaux, dans les monuments. Petite ville, riche,
sombre et triste, nid de vautours ou d'orfraies, tour à tour île et presqu'île
selon le flux ou le reflux ; tout bordé d'écueils sales et fétides, où le
varech pourrit à plaisir. Au loin, une côte de rochers blancs, anguleux,
découpés comme au rasoir. La guerre était le bon temps pour Saint-Malo ;
ils ne connaissaient pas de plus charmante fête ; ils préparaient ainsi
leurs corsaires, organisaient bourgeoisement à leur profit l'héroïsme et la
mort. De Saint-Malo, Duguay-Trouin et tant d'autres héros de la marine.
A l'autre bout, c'est Brest, le grand port militaire, la pensée de
Richelieu, la main de Louis XIV ; fort, arsenal et bagne, canons et
vaisseaux, armées et millions, la force de la France entassée au bout de la
France : tout cela dans un port serré, où l'on étouffe entre deux
montagnes chargés d'immenses constructions. Quand vous parcourez ce port, c'est
comme si vous passiez dans une petite barque entre deux vaisseaux de haut
bord ; il semble que ses lourdes masses vont venir à vous et que vous
allez être pris entre elles. L'impression générale est grande, mais pénible.
C'est un prodigieux tour de force, un défi porté à l'Angleterre et à la
nature.
C'est justement à cette pointe où la mer, échappée du détroit de la
Manche, vient briser avec tant de fureur que nous avons placé le grand dépôt de
notre marine. Certes, il est bien gardé. L'on n'y entrera pas ; mais l'on
n'en sort pas comme on veut. Plus d'un vaisseau a péri à la passe de Brest.
Toute cette côte est un cimetière. Il s'y perd soixante embarcations chaque
hiver 3 .
La rareté de nos ports si clairsemés, de Brest à Saint-Malo, à
Cherbourg, au Havre, la difficulté de leurs entrées, leur ensablement, montrent
que la mer n'aime pas la France ; elle est anglaise d'inclination.
L'Angleterre regarde de partout l'Océan ; nous, nous avons à peine de
petites fenêtres percées sur lui, à travers nos falaises et nos rochers. La
Bretagne est pis qu'une île : ni fleuve, ni port ; nul accès ni par
terre ni par mer.
Rien de sinistre et formidable comme cette côte de Brest c'est la
limite extrême, la pointe, la proue de l'ancien monde. Là, les deux ennemis
sont en face : la terre et la mer, l'homme et la nature. Il faut voir
quand elle s'émeut, la furieuse, quelles monstrueuses vagues elle entasse à la
pointe de Saint-Mathieu, à cinquante, à soixante, à quatre-vingt pieds ;
l'écume vole jusqu'à l'église où les mères et les sœurs sont en prières. Et
même dans les moments de trêve, quand l'Océan se tait, qui a parcouru cette
côte funèbre sans dire ou sentir en soi : Tristis usque ad
mortem !
C'est qu'en effet il y a là
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