Notre France, sa géographie, son histoire
camarades, et
voulut être enterré avec les pauvres, auxquels il laissa tout son bien.
Cet esprit d'égalité ne peut surprendre dans ce pays de républiques,
au milieu des cités grecques et des municipes romains. Dans les campagnes même,
le servage n'a jamais pesé comme dans le reste de la France. Ces paysans
étaient leurs propres libérateurs et les vainqueurs des Maures ; eux seuls
pouvaient cultiver la colline abrupte et resserrer le lit du torrent. Il
fallait contre une telle nature des mains libres, intelligentes.
Libre et hardi fut encore l'essor de la Provence dans la littérature,
dans la philosophie. Les Romains fréquentaient les écoles de Marseille, cette
petite Grèce plus sobre et plus modeste que l'autre, et qui se trouvait à leur
porte.
La grande réclamation du breton Pélage en faveur de la liberté humaine
fut accueillie, soutenue en Provence par Faustus, par Cassien, par cette noble
école de Lerins, la gloire du V e siècle. Quand le breton Descartes
affranchit la philosophie de l'influence théologique, le provençal Gassendi
tenta la même révolution au nom du sensualisme. Et au dernier siècle, les
athées de Saint-Malo, Maupertuis et Lamettri, se rencontrèrent chez Frédéric,
avec un athée provençal (d'Argens).
Ce n'est pas sans raison que la littérature du Midi au XII e et au XIII e siècle, s'appelle la littérature provençale. On vit
alors tout ce qu'il y a de subtil et de gracieux dans le génie de cette
contrée. C'est le pays des beaux parleurs, passionnés (au moins pour la
parole), et quand ils veulent, artisans obstinés de langage ; ils ont
donné Massillon, Mascaron, Fléchier, Maury, les orateurs et les rhéteurs. Mais
la Provence entière, municipes, Parlement et noblesse, démagogie et rhétorique,
le tout couronné d'une magnifique insolence méridionale s'est rencontré dans
Mirabeau, le col du taureau, la force du Rhône.
Comment ce pays-là n'a-t-il pas vaincu et dominé la France ? il a
bien vaincu l'Italie au XIII e siècle. Comment est-il si terne
maintenant, en exceptant Marseille, c'est-à-dire la mer ? Sans parler des
côtes malsaines, et des villes qui se meurent, comme Fréjus, je ne vois partout
que ruines. Et il ne s'agit pas ici de ces beaux restes de l'antiquité, de ces
ponts romains, de ces aqueducs, de ces arcs de Saint-Remi et d'Orange, et de
tant d'autres monuments. Mais dans l'esprit du peuple, dans sa fidélité aux
vieux usages 4 , qui lui donnent une physionomie si originale
et si antique ; là aussi, je trouve une ruine. C'est un peuple qui ne
prend pas le temps passé au sérieux, et qui pourtant en conserve la trace. Un
pays traversé par tous les peuples aurait dû, ce semble, oublier
davantage ; mais non, il s'est obstiné dans ses souvenirs. Sous plusieurs
rapports, il appartient, comme l'Italie, à l'antiquité.
1 Trois essais des Romains, de saint Louis et de Louis
XIV sont restés impuissants.
2 Ce pont d'Avignon, tant chanté, succédait au pont de
bois d'Arles qui, dans son temps, avait reçu ces grandes réunions d'hommes,
comme depuis Avignon et Beaucaire.
3 Ces noms, et les rapports de plusieurs de ces danses
avec le boléro , doivent faire présumer que ce sont les Sarrasins qui en
ont laissé l'usage en France.
4 Dans ses jolies danses moresques, dans les romérages de ses bourgs, dans les usages de la bûche calendaire ,
la bûche de Noël des pois chiches à certaines fêtes, dans tant d'autres
coutumes.
XV
SUITE DE LA PROVENCE - LE COMTAT AVIGNON
Franchissez les tristes embouchures du Rhône obstruées et
marécageuses, comme celles du Nil et du Pô. Remontez à la ville d'Arles, rivale
de Marseille sous J. César. La vieille métropole du christianisme dans nos
contrées méridionales, la Rome gauloise, avait cent mille âmes au temps des
Romains ; elle en a vingt mille aujourd'hui elle n'est riche que de morts
et de sépulcres. Elle a été longtemps le tombeau commun, la nécropole des
Gaules. C'était un bonheur souhaité de pouvoir reposer dans ses champs Élysiens
(les Aliscamps). Jusqu'au XII e siècle, dit-on, les habitants des
deux rives mettaient, avec une pièce d'argent, leurs morts dans un tonneau
enduit de poix, qu'on abandonnait au fleuve ; ils étaient fidèlement
recueillis. Cependant cette ville a toujours décliné. Lyon l'a bientôt
remplacée dans la primatie des Gaules ; le
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