Notre France, sa géographie, son histoire
génie provençal aurait plus d'analogie, sous quelque rapport, avec
le génie gascon qu'avec le languedocien. Il arrive souvent que les peuples
d'une même zone sont alternés ainsi ; par exemple, l'Autriche, plus
éloignée de la Souabe que de la Bavière, en est plus rapprochée par l'esprit.
Riveraines du Rhône, coupées symétriquement par des fleuves ou torrents qui se
répondent, (le Gard à la Durance, et le Var à l'Hérault), les provinces de
Languedoc et de Provence formaient à elles deux, avant l'annexion des
Alpes-Maritimes, notre littoral sur la Méditerranée. Ce littoral a des deux
côtés ses étangs, ses marais, ses vieux volcans. Mais le Languedoc est un
système complet, un dos de montagnes ou collines avec les deux pentes :
c'est lui qui verse les fleuves à la Guyenne et à l'Auvergne. La Provence est
adossée aux Alpes ; elle n'a point les Alpes, ni les sources de ses
grandes rivières ; elle n'est qu'un prolongement, une pente des monts vers
le Rhône et la mer ; au bas de cette pente, et le pied dans l'eau, sont
ses belles villes, Marseille, Arles, Avignon. En Provence, toute la vie est au
bord. Le Languedoc, au contraire, dont la côte est moins favorable, tient ses
villes en arrière de la mer et du Rhône. Narbonne, Aigues-Mortes et Cette ne
veulent point être des ports 1 . Aussi l'histoire du
Languedoc est plus continentale que maritime ; ses grands événements sont
les luttes de la liberté religieuse. Tandis que le Languedoc recule devant la
mer, la Provence y entre, elle lui jette Marseille et Toulon ; elle semble
élancée aux courses maritimes, aux Croisades, aux conquêtes d'Italie et
d'Afrique.
Cette côte, avec ses éclairs d'acier qui le jour vous éblouissent, ses
maquis épineux rébarbatifs qui vous barrent le chemin, ses palmiers
gigantesques chargés de leurs régimes d'or, est elle-même toute africaine.
La France a l'avantage admirable d'avoir les deux mers. La
Méditerranée est belle surtout par deux caractères : son cadre harmonique
et la vivacité, la transparence de l'air, de la lumière. C'est une mer bleue
très amère et très salée. Sur ces rivages âpres, rien de vulgaire. La trace des
feux souterrains qu'on y trouve partout, ses sombres roches plutoniques, ne
sont jamais ennuyeuses comme les longues dunes de sable ou les sédiments aqueux
des falaises.
La côte méditerranéenne, pour ainsi dire circulaire, a sa note la plus
haute précisément dans le climat sec et vif de Provence. Elle s'amollit vers
Pise ; elle s'équilibre en Sicile, obtient à Alger un degré remarquable de
fixité.
La rade de Toulon est, on le sait, la merveille du monde. Il y en a de
plus grandes encore, mais aucune si belle, aucune si fièrement dessinée. Elle
s'ouvre à la mer par une bouche de deux lieues, la resserrant par deux
presqu'îles recourbées en pattes de crabes. Tout l'intérieur varié, accidenté
de caps, de pics rocheux, de promontoirs aigus, landes odorantes, sauvagement
parfumées, vignes, bouquets de pins, aloës et cactus ; une noblesse et une
sévérité singulières. Derrière, le haut cirque des monts chauves, dominés de la
tête, par Condom et Pharon, les deux gardiens du port.
En ce pays de lumière, où l'on peut voir parfois en mer à vingt et
trente lieues, si ce n'est davantage, si vous montez sur les épaules de l'un de
ces bons géants, peut-être, verrez-vous au loin, flottante comme une vague
apparition, notre petite patrie d'adoption, la Corse. Africaine comme Malte,
dans les luttes, parfois terribles, qu'elle engagea, jadis, pour la défense de
ses libertés, elle n'appela jamais à son secours les Italiens, mais toujours la
France ; sous Charles VI, Henri II, Louis XV. Petite île, grand peuple à
ses moments, qui fut toujours nôtre par le cœur.
Cette belle lumière, ce climat puissant trempe admirablement l'homme,
elle lui donne la force sèche, la plus résistante ; elle fait les plus
solides races, les plus robustes. Le marin provençal catalan, celui de Gènes,
de Calabre, de Grèce s'acclimate partout. Cuivrés et bronzés, ils passent à
l'état de métal. Riche couleur qui n'est point un accident de l'épiderme, mais
une imbibition profonde de soleil et de vie.
La Provence a visité, a hébergé tous ces peuples et bien d'autres.
Tous ont chanté les chants, dansé les danses d'Avignon, de
Beaucaire ; tous
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