Notre France, sa géographie, son histoire
appellent les Dauphinois les Franciaux . Le
Dauphiné appartient déjà à la vraie France, la France du Nord. Malgré la
latitude, la jolie vallée de l'Isère, ses vignes, ses mûriers et le sourire
italien dont elle salue l'étranger au passage, cette province est
septentrionale. Là commence cette zone de pays rudes et d'hommes énergiques qui
couvrent la France à l'est. D'abord le Dauphiné, comme une forteresse sous le
vent des Alpes ; puis le marais de la Bresse ; puis dos à dos la
Franche-Comté et la Lorraine, attachés ensemble par les Vosges, qui versent à
celle-ci la Moselle, à l'autre la Saone et le Doubs. Un vigoureux génie de
résistance et d'opposition signale ces provinces. Cela peut être incommode au
dedans, mais c'est notre salut contre l'étranger.
Ce fut un dauphinois, Bayard, le chevalier sans peur , qui monta
le premier à Brescia. Pietro Navarro, l'inventeur des mines, l'avait sûrement
avec lui, lorsqu'avec nos Basques vifs et fermes et la verte race du
Dauphiné, il dompta, perça le rocher, se fit un passage entre les glaces et les
abîmes, et tomba, à l'improviste, dans les plaines de Saluces, à l'entrée de la
Lombardie 1 . Avec ses
vingt mille hommes, ses soixante-douze énormes canons, cinq cents petites
pièces à dos de mulet, il avait franchi la triple échine des Alpes, passé à
travers les rochers, remonté les pentes glissantes des précipices où nul
marchand, nul colporteur, nul contrebandier, n'avait imprimé ses pas. La
virginité de leurs neiges n'avait été effleurée, depuis la création, que par
l'enfant de la montagne, le craintif chamois, et parfois aussi, peut-être, par
l'intrépide folie du chasseur que la passion entraîne après lui aux corniches
étroites des gouffres.
Ces provinces guerrières ont donné aussi à la science des esprits
sévères et analytiques : Mably et Condillac, son frère, sont de
Grenoble ; d'Alembert est Dauphinois par sa mère ; de
Bourg-en-Bresse, l'astronome Lalande, et Bichat, le grand anatomiste ;
Edgard Quinet. Même esprit critique en Franche-Comté ; ainsi Guillaume de
Saint-Amour, l'adversaire du mysticisme des ordres mendiants, le grammairien
d'Olivet. Du Dauphiné à Liège, à la Normandie, l'esprit général est la
critique. On trouve dans les habitudes de langage des Dauphinois des traces
singulières de leur esprit processif. Avant la Révolution, quand les enfants
avaient passé un an ou deux chez un procureur à mettre au net des exploits et
des appointements, leur éducation était faite, et ils retournaient à la
charrue. Le Dauphiné a été longtemps la terre classique du régime dotal ;
les familles avaient l'orgueil de faire un héritier, un aîné, n'accordant aux
cadets que les exigences de la loi, à la fille le moins possible. Le paysan,
dans son humble condition, imitait le seigneur. Au demeurant, très avisé. On
sait le dicton : « Fin, rusé, courtois, sent venir le vent et connaît
la couleur de la bise. »
Mais leur vie morale et leur poésie, à ces hommes de la frontière, a
longtemps été la guerre. Qu'on leur fasse encore appel, vous verrez que les
Bayards ne manqueront pas au Dauphiné, ni les Ney, les Fabert, à la Lorraine.
Il y a là, sur la frontière, des villes héroïques où ce fut de père en fils un
invariable usage de se faire tuer pour le pays.
La petite ville de Sarrelouis, qui compte à peine cinq mille
habitants, a fourni en vingt années cinq ou six cents officiers et militaires
décorés, presque tous morts au champ de bataille 2 . Et les femmes
s'en mêlent souvent comme les hommes. Même, autrefois, les grandes dames dans
leur riche et galante armure ; on se souvient des princesses de la maison
de Bouillon. Les femmes ont dans toute cette zone, du Dauphiné aux Ardennes, un
courage, une grâce d'amazones, que vous chercheriez en vain par tout ailleurs.
Froides, sérieuses et soignées dans leur mise, respectables aux étrangers et à
leurs familles, elles vivent au milieu des soldats, et leur imposent.
Elles-mêmes, veuves, filles de soldats, elles savent ce que c'est que la
guerre, ce que c'est que de souffrir et mourir ; mais elles n'y envoient
pas moins les leurs, fortes et résignées ; au besoin elles iraient
elles-mêmes. Ce n'est pas seulement la Lorraine qui sauva la France par la main
d'une femme : en Dauphiné, Margot de Lay défendit
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