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Notre France, sa géographie, son histoire

Notre France, sa géographie, son histoire

Titel: Notre France, sa géographie, son histoire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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s'affaiblissaient et venaient à rien les vieilles libertés des municipes du
     Midi. La liberté romaine et la religion romaine, la république et le
     christianisme, l'antiquité et le moyen âge s'y éteignaient en même temps.
     Avignon fut le théâtre de cette décrépitude. Aussi ne croyez pas que ce soit
     seulement pour Laure que Pétrarque ait tant pleuré à la source de
     Vaucluse ; l'Italie aussi fut sa Laure, et la Provence, et tout l'antique
     Midi qui se mourait chaque jour.
    La Provence, dans son imparfaite destinée, dans sa forme incomplète,
     me semble un chant des troubadours, un canzone de Pétrarque ; plus d'élan
     que de portée. La végétation africaine des côtes est bientôt bornée par le vent
     glacial des Alpes. Le Rhône court, à la mer, et n'y arrive pas. Les pâturages
     font place aux sèches collines, parées tristement de myrte et de lavande,
     parfumées et stériles.
    Ces landes stériles, ce destin inachevé ne tiennent-ils pas aussi à la
     nature de ce climat trouble et véhément comme le Rhône ? A partir de
     Valence, vous perdez la paix des régions du Nord, vous entrez dans la
     tourmente. Ici, les vents se combattent avec fureur.
    Dans un pays si discordant, quelle âme serait assez forte pour
     conserver l'équilibre ? Ce vent éternel, contradictoire, du Nord, du Midi,
     frappe l'homme au cerveau. A Valence, les cas de folie sont nombreux. De
     l'autre côté du Rhône, sur les plateaux des Cévennes incessamment fouettés de
     l'âpre bise, le renversement de la vie nerveuse tourne à l'extase
     épileptique.
    Nulle autre part qu'à Avignon, ni en France, ni en Italie, la
     population n'est si expressive, la passion si impétueuse. Race métis et
     trouble, celto-grecque, arabe avec un mélange italien. C'est aussi la fille du
     Rhône, elle porte en elle ses emportements, ses tourbillons. Moralisé, humanisé
     à Lyon par la Saône, son aimable et pesante épouse, qui lui apporte en dot le
     Doubs, sur sa route, de folles rivières se jettent à lui des deux côtés et le
     refont torrent. Il court, s'effarouche. De plus en plus incapable de se
     contenir, il court, c'est comme une bête échappée, un taureau de la
     Camargue.
    Une tête étrangère résiste peu au triple vertige des eaux, du vent,
     des regards mobiles. Ce qui surtout l'enivre, l'hébête, c'est ce vent qui rase
     la ville, qu'on entend toujours aux rues d'Avignon, l'éternel zou !
     zou ! Ce sifflement imité par l'homme du peuple, mariniers, portefaix,
     rudes vignerons de la montagne, race âpre, féroce, à ses heures, c'est pour lui
     le cri de l'émeute. Ces tourmentes subites qui, tout à coup, noires et
     terribles, flottent autour du Ventoux, qui pourra les arrêter ? Il en est
     de même des colères de ce peuple, elles emportent tout devant elles 3 .
    La poésie du Midi, de son destin, repose dans la mélancolie de
     Vaucluse. son paysage austère, spiritualiste, — là rien pour les sens ; —
     dans la tristesse ineffable et sublime de la Sainte-Baume, d'où l'on voit les
     Alpes et les Cévennes, le Languedoc et la Provence, au delà, la Méditerranée.
     Et moi aussi, j'y pleurerais comme Pétrarque au moment de quitter ces belles
     contrées.
    1 Rome a gardé Avignon jusqu'en
     1791.
    2 Le séjour des papes à Avignon date de plus haut, du
     moment où Philippe le Bel eut besoin d'avoir un pape à lui, sous sa main, pour
     supprimer l'ordre ecclésiastique des Templiers.
    3 Allusion au massacre de la Glacière. La tour en
     porte encore les traces, comme au palais des papes, aux chambres sépulcrales de
     l'inquisition, on voit la suie lentement accumulée que laissa la chair brûlée
     des hérétiques. (M me J.-M.)

XVI
    LE DAUPHINÉ
    Mais il faut que je fraye ma route vers le Nord, aux sapins du Jura,
     aux chênes des Vosges et des Ardennes, vers les plaines décolorées du Berry et
     de la Champagne. Les provinces que nous venons de parcourir, isolées par leur
     originalité même, ne me pourraient servir à composer l'unité de la France. Il y
     faut des éléments plus liants, plus dociles ; il faut des hommes plus
     disciplinables, plus capables de former un noyau compact, pour fermer la France
     du Nord aux grandes invasions de terre et de mer, aux Allemands et aux Anglais.
     Ce n'est pas trop pour cela des populations serrées du centre, des bataillons
     normands, picards, des massives et profondes légions de la Lorraine et de
     l'Alsace.
    Les Provençaux

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