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Notre France, sa géographie, son histoire

Notre France, sa géographie, son histoire

Titel: Notre France, sa géographie, son histoire Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jules Michelet
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se sont arrêtés aux passages du Rhône, à ces grands
     carrefours des routes du Midi 2 . Les saints de
     Provence (de vrais saints que j'honore) leur ont bâti des ponts, et commencé la
     fraternité de l'Occident. Les pâles et belles femmes d'Arles au masque romain,
     les vives filles d'Avignon continuant cette œuvre, ont pris par la main le
     Grec, l'Espagnol, l'Italien, leur ont, bon gré mal gré, mené la farandole, la Turque , la Mauresque 3 . Et ils n'ont plus voulu
     se rembarquer. Ils ont fait en Provence des villes grecques, moresques,
     italiennes. Ils ont préféré les figues fiévreuses de Fréjus à celles d'Ionie ou
     de Tusculum, combattu les torrents, cultivé en terrasses les pentes rapides,
     exigé le raisin des coteaux pierreux qui ne donnent que thym et lavande.
    La Provence grecque commence visiblement près de Toulon, avant
     Olioules, Gemenos, Evenos. Les hommes deviennent très fins, les femmes jolies,
     d'un type qui ne se trouve qu'entre Aix et Toulon. Le tout un peu maigre, un
     peu mesquin, mais non trapu comme les vrais Provençaux. Ceci, c'est l'homme du
     Var, figure fine, un peu aiguisée.
    Cette poétique Provence n'en est pas moins un rude pays. Le vent
     éternel qui enterre dans le sable les arbres du rivage, qui pousse les
     vaisseaux à la côte, n'est guère moins funeste sur terre que sur mer. Les coups
     de vent, brusques et subits, saisissent mortellement. Le Provençal est trop vif
     pour s'emmailloter du manteau espagnol. Et ce puissant soleil aussi, la fête
     ordinaire de ce pays de fêtes, il donne rudement sur la tête, quand d'un rayon
     il transfigure l'hiver en été. Il vivifie l'arbre, il le brûle. Et les gelées
     brûlent aussi. Plus souvent des orages, des ruisseaux qui deviennent des
     fleuves. Le laboureur de la Durance et du Rhône, ramasse son champ au bas de la
     colline, où le suit voguant à grande eau, et s'ajoutant à la terre du voisin.
     Nature capricieuse, passionnée, colère et charmante.
    Le Rhône est le symbole de la contrée, son fétiche, comme le Nil est
     celui de l'Égypte. Le peuple n'a pu se persuader que ce fleuve ne fût qu'un
     fleuve, mais une chose fantastique ; il a bien vu que la violence du Rhône
     était de la colère, et reconnu les convulsions d'un monstre dans ses gouffres
     tourbillonnants. Le monstre c'est le drac , la tarasque , espèce de
     tortue-dragon, que l'on promenait naguère à grand bruit le jour de
     Sainte-Marthe. Elle allait jusqu'à l'église, heurtant tout sur son passage.
    La fête n'était pas belle, s'il n'y avait pas au moins un bras
     cassé.
    Ce Rhône, emporté comme un taureau qui a vu du rouge, vient donner
     contre son delta de la Camargue, l'île des noirs taureaux et des étalons
     indomptés. Le pâtre, monté sur un de ces étalons sauvages, surveille son
     troupeau qui paît les roseaux et les oseraies plongé dans le marais jusqu'au
     poitrail comme le buffle dans la campagne de Rome. L'île avait aussi sa fête,
     c'était la Ferrade . Un cercle de chariots était chargé de spectateurs.
     On y poussait à coups de fourche les taureaux qu'on voulait marquer. Un homme
     adroit et vigoureux renversait le jeune animal, et pendant qu'on le tenait à
     terre, on offrait le fer rouge à une dame invitée ; elle descendait et
     l'appliquait elle-même sur la bête écumante.
    Voilà le génie de la basse Provence, violent, bruyant, barbare, mais
     non sans grâce. Il faut voir ces danseurs infatigables danser la moresque, les
     sonnettes aux genoux, ou exécuter à neuf, à onze, à treize, la danse des épées,
     le bacchuber , comme disent leurs voisins de Gap ; ou bien à Riez,
     jouer tous les ans la bravade des Sarrasins. Pays de militaires, des
     Agricola, des Baux, des Crillon ; pays des marins intrépides ; c'est
     une rude école que ce golfe de Lion. Dans ce bassin circulaire, la vague
     manquant d'espace pour s'étendre et s'apaiser, revient sur elle-même avec une
     extrême violence. La lame courte et disloquante, fait clapotis et retient dans
     son terrible remous le navire qui ne sait plus à qui entendre.
    Citons parmi les plus vaillants, le bailli de Suffren, et ce renégat
     qui mourut capitan-pacha en 1706 ; nommons le mousse Paul (il ne s'est
     jamais connu d'autre nom) ; né sur mer d'une blanchisseuse, dans une
     barque battue par la tempête, il devint amiral et donna sur son bord une fête à
     Louis XIV ; mais il ne méconnaissait pas pour cela ses vieux

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